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restre et la vie divine. Le mysticisme, qui en est l’ame, avait nécessairement pour conséquence cette dualité du ciel et de la terre, l’élévation vers l’un et le mépris de l’autre. Comment fermer les yeux devant un si évident contraste ? M. Leroux, qui cite plusieurs fois saint Paul, aurait bien dû reconnaître dans les enseignemens de l’apôtre l’ascétisme profond dont ils sont empreints. Toujours saint Paul a des paroles de dédain pour cette vie d’ici-bas, pour cette figure du monde qui passe. Pour choisir entre tous les exemples que nous pourrions produire ici, que dit l’apôtre quand il traite la question du mariage ? Quelle est à ses yeux la raison souveraine qui fait du célibat une condition supérieure ? C’est que le célibat vous permet de songer aux affaires du Seigneur, tandis que le mariage vous plonge dans les affaires du monde[1]. Le monde et Dieu ! Tel est l’éternel antagonisme qui caractérise le christianisme à toutes les époques, dans la bouche de Jésus, de Jean, de Paul, dans les écrits des pères, et, pour les temps modernes, aussi bien dans les ouvrages de Luther que dans ceux de Bossuet.

La critique qu’a tentée M. Leroux des principes du christianisme, est tout-à-fait insuffisante. Ce n’est pas avec quelques rapprochemens tirés de Platon ou d’Aristote qu’il est possible d’approfondir et de juger l’esprit de la religion chrétienne. Cet esprit est original, sui generis. Après s’être manifesté par Jésus-Christ, il a eu ses phases, ses développemens. Pendant plusieurs siècles, il a régné sans discussion ; depuis trois cents ans, sa domination tant spirituelle que temporelle a traversé de rudes épreuves. Pour ne parler ici que des débats de doctrine, l’histoire et les principes de la religion chrétienne ont été l’objet de controverses infinies ; la critique du christianisme est devenue une science, qui de nos jours, surtout en Allemagne, a jeté le plus vif éclat. Nous renverrons M. Leroux, s’il veut prendre quelque idée de ces travaux contemporains, au livre récent du docteur Strauss, qui, indépendamment de son originalité, a le mérite d’exposer avec une lucidité consciencieuse les opinions théologiques qui se sont produites depuis soixante ans. Les personnes sincèrement attachées au christianisme, comme religion et comme doctrine, n’accorderont aucune importance aux reproches dirigés par M. Leroux contre l’objet de leur foi, parce qu’elles lui refuseront, non sans fondement, la connaissance de ce qu’il attaque.

Si M. Leroux ne paraît pas destiné à exercer quelque influence sur

  1. Epistola Paul. ad Corinthios, cap. VII.