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en un endroit de ses écrits les ames particulières des modifications subites et passagères de l’ame du monde. Il aurait dû dire : des modifications durables d’une certaine façon et véritablement éternelles de l’ame du monde. Mais nous renverrons M. Leroux précisément à la lettre de Spinosa qu’il cite ; il y verra qu’il ne faut pas confondre la durée avec l’éternité ; la durée, c’est l’existence des formes ; l’éternité n’appartient qu’à la substance. Il y a bien de la témérité à vouloir donner à Spinosa une leçon d’idéalisme. Si M. Leroux se fût plus pénétré des principes de l’illustre représentant du panthéisme, il n’eût pas caressé cette singulière fantaisie de vouloir faire renaître l’individualité humaine. Quand l’ame s’exalte et se recueille à la fois dans le sentiment de l’infini, elle aspire à s’anéantir dans le sein de l’éternelle substance qui est aussi l’éternelle idée. Dans ces suprêmes momens, où la vie a son expression la plus pure, l’individu sent qu’il doit périr, et il s’en réjouit. Ne venez pas lui offrir la grossière image d’un retour possible sur la terre, car déjà, par l’élévation de sa pensée et de son désir, il anticipe l’éternité.

Hegel n’est pas moins maltraité que Spinosa par M. Leroux. « L’interprétation du christianisme sortie de l’école de Hegel, dit M. Leroux, prétend à la vérité expliquer le christianisme comme un produit de l’esprit humain ; mais apparemment c’est un produit qui s’est fait sous l’inspiration du hasard, et sans que la Providence y soit pour rien : car l’explication en question ne montre dans le christianisme aucune vérité quelconque qui vaille la peine d’être appelée religion, et l’existence même de son fondateur, loin d’être nécessaire, n’est pas même probable dans cette explication. » On croit rêver en lisant des assertions aussi absolues et aussi erronées. Faut-il apprendre à M. Leroux que la religion, et en particulier le christianisme, a été l’objet, de la part de Hegel, des explications les plus profondes ? Qu’il lise les ouvrages de ce grand homme, entre autres son Histoire des Religions ; qu’il lise encore les livres de ses disciples, de Marheinecke, de Rosenkrantz, de Strauss. La nécessité de la venue du Christ n’a pas été prouvée par l’école de Hegel ! Mais c’est sur ce fait fondamental qu’elle a porté tout l’effort de la démonstration. Il fallait, a dit cette école, un Dieu homme renfermant à la fois l’essence divine et la personnalité humaine, qui, tout en étant Dieu, dépendît de la nature, et qui prouvât par la mort humaine la réalité de l’incarnation divine. Ce n’est pas assez, il fallait qu’à la souffrance physique se joignît la souffrance morale, que causent l’ignomi-