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UNE VISITE AU ROI GUILLAUME.

tion, j’observais ce roi dont le nom depuis plus de cinquante ans occupe une place marquée dans l’histoire, et dont la ténacité nous menaçait en 1833 d’une guerre européenne. En le regardant, je me rappelais avec émotion tous les revers de fortune qu’il avait subis, toutes les douleurs qu’il avait éprouvées, et ces paroles de M. de Chateaubriand me revinrent à l’esprit : « Les grands de la terre ont connu la tristesse de l’isolement, les heures amères de l’exil, et l’on a pu voir quelle quantité de larmes renferment les yeux des rois. » Attaqué au cœur de son pays par Dumouriez, forcé de fuir en 1795 devant les armes victorieuses de Pichegru, dépouillé de l’héritage des stathouders par un arrêt de la convention, dépouillé par Napoléon des principautés que la maison d’Orange possédait en Allemagne, plus tard des domaines de Fulda et du comté de Spiegelberg, après la paix de Tilsitt, le descendant de ces fiers princes de Hollande qui avaient imposé des lois à l’Europe et humilié la gloire de Louis XIV, n’avait plus qu’une propriété dans le duché de Varsovie. Mais ni les armées de la république, ni les menaces de l’empereur ne purent le faire fléchir dans la ligne de conduite qu’il s’était tracée, et lui arracher une concession. Quand ses possessions d’Allemagne lui furent enlevées, il aurait pu les conserver en s’associant à la confédération du Rhin ; il aima mieux perdre cette dernière part de l’héritage de ses pères et garder son indépendance. En 1793, il prenait les armes pour combattre contre les armées du Nord ; en 1808, il les remettait à son fils, et l’envoyait servir sous les ordres de Wellington en Espagne. Après tant d’années de luttes et d’agitation, son visage, son attitude, ses manières, indiquent encore fidèlement la nature de son caractère. La vieillesse même semble avoir reculé devant cette organisation ferme et opiniâtre. Elle n’a rien enlevé ni à la mâle énergie de ses traits, ni à l’expression de son regard ; elle n’a fait que blanchir ses cheveux. Sa figure calme et régulière, ses lèvres légèrement serrées, offrent tout à la fois un type de force et de prudence ; ses yeux vifs, brillant sous deux épais sourcils, annoncent la pénétration, et, quand je le regardais, toute sa physionomie semblait être pour moi la vivante expression de cette devise de son royaume, qui fut surtout celle de son règne : Je maintiendrai.

Le lendemain, je partis pour Amsterdam, et deux jours après le Handelsblad annonçait l’abdication du roi. Rien jusque-là n’avait pu faire pressentir un tel évènement. Cependant à peine les journaux en avaient-ils parlé qu’on le regarda comme un acte définitif. « Si comme on nous l’affirme, le disait un Hollandais, Guillaume a dé-