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SCHILLER.

rien. Schiller écrivit une seconde fois d’une manière plus pressante. Il témoignait le désir d’aller à Mannheim ; il annonçait aussi qu’il pensait à choisir don Carlos pour sujet d’un nouveau drame. Le noble directeur de théâtre ne daigna pas, à ce qu’il paraît, répondre à cette lettre, et Schiller, privé de tout appui, désespérant de faire revenir le prince sur sa décision, tremblant d’être enfermé, comme le poète Schubart[1], à la forteresse de Hohenasperg, s’il avait encore l’audace d’écrire, incapable pourtant de renoncer à la seule carrière qu’il ambitionnait, résolut, pour mettre un terme à toutes ses craintes et à toutes ses souffrances morales, d’aller lui-même solliciter l’intervention de Dalberg, et préparer, par des négociations, son retour à Stuttgardt. Dans le cas où sa demande à cet égard ne serait pas accueillie, il espérait pouvoir se fixer à Mannheim, et y suivre librement ses penchans littéraires.

Il communiqua ce projet à un de ses amis, nommé Streicher, qui voulait aller étudier la musique à Hambourg, et qui résolut de partir avec lui. Streicher était libre, mais Schiller ne pouvait quitter Stuttgardt sans s’exposer à être arrêté comme déserteur. Une circonstance favorisa ses projets de fuite. Le grand-duc de Russie allait venir visiter le Wurtemberg. On préparait des fêtes pompeuses pour le recevoir, et Schiller choisit ce moment pour s’échapper. Il n’avait pas voulu mettre son père dans le secret, afin de lui laisser plus de liberté dans ses réponses, si le duc le faisait interroger ; mais il alla dire adieu à sa mère, qui pleura et n’osa pourtant le retenir. Puis, le jour du départ étant venu, Streicher se charge lui-même des préparatifs, rassemble les livres et les effets de Schiller ; car, pendant ce temps, le poète, enthousiasmé par une ode qu’il venait de lire, ne songeait plus ni à son voyage ni à ses projets, et se promenait de long en large dans la chambre, abandonné aux rêves de son imagination. À dix heures du soir, une voiture s’arrête à la porte de Streicher. Les deux amis y montent. Ils passent par les rues les plus obscures, ils arrivent avec anxiété à la porte de la ville. Le factionnaire les arrête et appelle le sous-officier de garde. — Qui est là ? demande

  1. Schubart, auteur de la ballade du Juif errant et de plusieurs poésies lyriques assez estimées. Il fut enfermé pendant dix ans par l’ordre du duc de Wurtemberg, sous le prétexte le plus frivole. Il rédigeait à Augsbourg la Chronique allemande, et c’est de lui que le bourgmestre de cette ville disait un jour, au milieu du sénat : « Il y a par là un vagabond qui demande pour sa feuille impie plein son chapeau de liberté anglaise ; il n’en aura pas plein une coquille de noix. »