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celui-ci. — Le docteur Ritter et le docteur Wolff allant à Esslingen. — Laissez passer. — La voiture franchit la barrière, et les amis respirent.

Au même instant une lumière éclatante apparaît du côté de Louisbourg ; c’était celle des édifices illuminés, celle de la forêt, où le grand-duc faisait une chasse aux flambeaux. Une lueur de pourpre se répand à l’horizon, un jour nouveau éclaire la contrée ; à un mille de distance, Schiller aperçoit dans cette soudaine clarté le château de Solitude. — Ma pauvre mère ! murmura-t-il doucement. — Puis il continua sa route en silence.

Le lendemain, les deux voyageurs arrivaient à Mannheim. Dalberg était parti pour Stuttgardt ; mais Meier, le régisseur du théâtre, les reçut avec empressement. Le premier soin de Schiller fut d’écrire à son souverain une lettre soumise et respectueuse, dans laquelle il expliquait la raison qui l’avait porté à fuir Stuttgardt, et demandait du ton le plus humble la permission de suivre sa vocation littéraire, promettant de retourner alors dans son pays et de ne donner lieu à aucune nouvelle plainte contre lui. Il envoya sa lettre à son colonel, et il lui fut répondu, en quelques mots fort secs, que, s’il voulait retourner à Stuttgardt, on ne le punirait pas de sa désertion. Ce n’était point là ce que le poète avait osé espérer, ce qu’il désirait. Il vit que toute transaction était impossible, et il resta.

Il apportait avec lui le manuscrit de Fiesque, auquel il avait travaillé depuis quelque temps toutes les nuits. Les comédiens se réunirent chez Meier pour en entendre la lecture. À la fin du premier acte, personne ne dit mot ; au second, les auditeurs bâillent, et quelques-uns d’entre eux s’esquivent ; à la fin de la pièce, d’autres s’éloignent encore sans murmurer le moindre éloge, et ceux qui restent se mettent à parler des nouvelles du jour. Schiller s’en alla chez lui désespéré. Alors Meier tire son compagnon de voyage à l’écart, et lui dit : « Est-ce vraiment Schiller qui a écrit les Brigands ? — Mais sans doute. Pourquoi cette question ? — C’est que je ne puis croire que l’auteur d’une pièce qui a eu un si grand succès, puisse être l’auteur du misérable drame qui vient de nous être lu. »

Le soir pourtant, Meier, se ravisant, voulut lui-même voir cette nouvelle pièce, et à peine l’avait-il lue, qu’il courut trouver Streicher.

« Je me suis trompé, s’écria-t-il ; Fiesque est un excellent drame et bien mieux écrit que les Brigands ; mais Schiller nous le rendait insupportable en le lisant avec son ton déclamatoire et son accent souabe. »

Il fut convenu alors que la pièce serait représentée dès qu’elle