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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

moins riches. L’imitation, l’émulation et l’industrie étant partout au comble, les genres et les manières qui pouvaient sembler les plus réservés jusqu’à présent, et qui eussent peut-être suffi autrefois pour marquer la qualité du talent, ne sont plus une garantie, s’ils l’ont jamais été ; tout le monde s’en mêle, et assez bien. La littérature entière est déclassée. Il n’est donc rien de tel en chaque genre, pour se sauver et triompher décidément, que l’esprit, et beaucoup d’esprit, et très inventif : c’est encore, après tout, la seule recette que n’a pas qui veut.

Non pas que je prétende, en faisant fi de la dignité des genres, que tous reviennent au même pour l’homme d’esprit, et que le cadre, le cercle qu’on se donne à remplir, soient indifférens. Nous verrons, à propos de M. Scribe lui-même, qu’il nous induit à penser le contraire. Il y a des scènes et des publics qui nous excitent, qui nous élèvent dès l’abord, qui nous forcent à tirer de nous-mêmes et plus constamment tout ce que nous valons. L’homme d’esprit inventif a souvent une infinité de manières possibles de se produire et de faire ; l’occasion décide ; à moins d’une volonté très haute, on se jette du premier côté qui prête ; les envieux, les routiniers, les admirateurs même, vous y confinent ; on va toujours, et on les dément. En fin de compte, quand le don d’invention est très réel et très vif, tout se retrouve, et l’on a peu à regretter. Plus ou moins tôt, toutes les qualités percent, et la dose de nouveauté qu’on avait en soi est versée dans le public. Mais les diverses manières de la mettre en dehors n’ont pas égale apparence, ne font pas également d’honneur. Le plaisir si commode qu’on procure chaque jour aux autres semble nuire même (ingratitude !) au degré de mérite qu’ils vous supposent. Et puis, en effet, on s’est trop dispersé et circonscrit à la fois d’abord ; on s’est habitué à voir les choses sous un certain angle, on garde de certains plis, même en s’agrandissant. Il y aurait bonheur à la critique, dans un sujet aussi brillant et aussi populaire que M. Scribe, à démêler et à indiquer avec soin toutes ces circonstances déliées de sa vocation, de son œuvre et de sa fortune dramatique. Trop peu compétent pour mon compte en matière si éparse et si mobile, je ne ferai que courir, relevant quelques points à peine et en hâte d’arriver au dernier succès, mais heureux au moins si j’ai montré que le propre de la critique est de n’être point prude, qu’elle aime et va quérir partout les choses de l’esprit, qu’elle tient à honneur de s’en informer et d’en jouir. Et telle que je la conçois, la critique, dans sa diversion et son ambition de curiosité, dans sa naïveté d’impressions