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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

lui écrivait un jour : « Si M. Scribe passe dans le quartier, je le prie de monter à l’étude, où il y a de la besogne pressée. » Ses premières bluettes, faites la plupart de compagnie avec M. Germain Delavigne, obtenaient l’honneur d’être jouées sur le théâtre de la rue de Chartres, les Dervis dès 1811, Les Brigans sans le savoir en 1812 ; entre les deux, ou aux environs, il y eut quelques échecs. Le nom de Scribe n’était pas d’abord sur l’affiche, par respect pour la robe future d’avocat ; on ne nommait que M. Eugène. Ce ne fut qu’à un certain moment que M. Bonnet, l’honorable tuteur, se crut autorisé par le succès à laisser courir les choses et le nom.

En 1813, M. Scribe donnait seul son premier opéra-comique, la Chambre à coucher ; mais, de ce côté, la suite ne répondit pas aussitôt à cet heureux début. Le musicien collaborateur ne comprit pas tout le parti qu’il pouvait tirer d’une telle veine ; M. Scribe fut congédié, et ce n’est que plus tard, à l’appel de M. Auber, qu’il reprit possession de cette aimable scène si française, qui semble désormais ne pouvoir se passer d’aucun d’eux.

Dans le vaudeville, la vogue commença pour lui dès 1815. Une Nuit de la Garde nationale, puis le Comte Ory, le Nouveau Pourceaugnac, annoncèrent qu’un homme d’esprit de plus était trouvé pour payer son écot dans les gaietés de chaque soir. Le vaudeville fut sa première manière ; car, à travers sa production incessante et ses diversions croisées sur tous les théâtres, on distingue assez nettement en lui trois manières successives : 1o le vaudeville français pur, simplement chantant et amusant ; 2o la jolie comédie semi-sentimentale du Gymnase, où il est proprement créateur de genre ; 3o la comédie française en cinq actes enfin, à laquelle il s’est élevé dès qu’il l’a fallu, qu’il est en train de moduler selon son goût, et où il n’a pas dit son dernier mot.

En 1815, l’agréable et malin vaudeville courait encore à la légère et non dénaturé ; la démarcation même des genres l’avait sauvé dans son humble liberté sans prétention. Il y avait les grands auteurs d’alors, les écrivains qui cultivaient les parties nobles de l’art dramatique : M. Étienne dans la haute comédie, M. Arnault dans le tragique, M. de Jouy dans le lyrique, et puis, sous eux, bien au-dessous, sans qu’on pensât encore à forcer les barrières, il y avait la monnaie de Laujon, Désaugiers, Gentil, une foule d’autres : ils se contentaient d’amuser. M. Scribe fut de ceux-là en débutant. Dans sa Nuit de la Garde nationale, on a retenu ces couplets si roulans, si bien frappés :