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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

lentes et d’un comique très net, très vigoureux : ce sont celles de Bollingbroke avec la duchesse, au premier, au second, et au quatrième acte, lorsque, maître de son secret, il se fait fort, par trois fois, de la contraindre à le servir. Entre le roué spirituel, impudent, et la favorite, dont Mlle Mante représente parfaitement l’ambition assez robuste et peu ébranlable, le feu de riposte est vif, serré, nourri ; ils se rivent chacun leur clou, comme on dit, avec une prestesse et une justesse qui fait oublier l’ignoble du fond. L’action chaque fois en ressort comme remontée. Une plume des plus en vogue a écrit à ce propos que la comédie de M. Scribe se composait de trois vaudevilles nattés à la suite l’un de l’autre. Si c’est, comme je le crois, de ces trois scènes qu’on a entendu parler, il faut ajouter que ces endroits nattés le sont d’une bien étroite manière. Ce triple nœud fait la meilleure, la plus solide partie de la pièce, et pour prendre une image sans épigramme et plus d’accord avec l’escrime en question,

L’acier au lieu de sa soudure,
Est plus fort qu’ailleurs et plus ferme.

Il faut louer aussi, comme d’un comique très savant et pourtant naturel, cette complication de trois femmes, toutes les trois férues au cœur pour un seul, tellement que, dès qu’on les touche où l’amour les pique, l’une faiblit et les deux autres regimbent. Et celle qui faiblit, c’est la femme forte, et celles qui regimbent, qui acquièrent tout d’un coup du caractère, ce sont celles qui n’en ont pas. Quoi de plus joli et de plus franc que ce mot soudain de la reine, qu’elle lance à la duchesse, sur le chiffre des millions qu’a coûtés la prise de Bouchain, sur le chiffre des morts qu’a coûtés la victoire de Malplaquet ? Quand on lui avait raconté ce détail, elle n’avait pas écouté, ce semble, tant sa pensée était ailleurs ; mais voilà que sa jalousie en éveil a intérêt à s’en ressouvenir, et il se trouve qu’elle a entendu comme après coup ; elle se ressouvient.

Le cinquième acte est de beaucoup le moins bon, le plus factice, celui qui rappelle le plus les conclusions de vaudeville ou d’opéra-comique. Il ne s’agit plus que de pourvoir au bonheur des petits amans, et cela sans que la reine se doute qu’elle est trompée et qu’ils s’aiment. L’auteur a dépensé une grande dextérité de mise en scène, d’entrées et de sorties, de cabinets dérobés, autour de ce but qu’il obtient finalement et que le spectateur remarque assez peu. Mais le succès est décidé par les quatre premiers actes, et le cinquième roule de lui-même en vertu de l’impulsion donnée. En somme, dans cette