Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/776

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
772
REVUE DES DEUX MONDES.

du Ténare. Vous pénétrez de plain-pied dans la montagne. La mine étend tout au loin ses rues innombrables, à peine si vous apercevez la vacillante clarté dans la main du mineur. De temps à autre vous entendez un grand bruit ; c’est la houille qui tombe, masse détachée de la masse universelle. Si vous levez la tête, vous pouvez suivre à ses ondulations immenses ce vaste manteau de charbon dont les franges seront à peine découpées quand toute cette génération ne sera plus de ce monde. Mais cependant quelles ténèbres ! quel silence ! Quelques ouvriers suffisent à tracer ces tristes sillons, des sillons sans soleil, sans rosée fécondante, sans verdure et sans ombrage ; mais aussi, une fois que cette triste récolte sera faite, que de forces amoncelées cette masse inerte vous va représenter ! Que de bras ! que de travailleurs ! que de vaisseaux qui vont partir au loin ! Dans cet antre ténébreux est enfermée la vie et la puissance des peuples modernes ; c’est de là véritablement que part la force nouvelle qui les pousse ; et quelle grande idée, savez-vous, d’avoir été chercher cette montagne perdue là, pour la placer sur les bords de la Méditerranée, où chaque navire lui viendra demander le mouvement !

Non-seulement par ce chemin de fer vous allez à la Grande-Combe, mais encore vous allez à Beaucaire. Le Rhône prend à Beaucaire le charbon qui vient de la mine, et de là il le porte à la mer. Ainsi, Beaucaire, pauvre ville, d’une existence douteuse, qui vivait par hasard et de hasards, qui n’avait guère qu’un mois d’existence dans l’année, a fini par vivre de la vie du commerce de chaque jour. Sur le quai, nous trouvons un pont suspendu que le Rhône doit avoir emporté depuis, et nous voyons passer en même temps, mais d’un pas bien inégal, le bateau à vapeur et la galiote, triste bateau tiré par un cheval étique ; c’était là toute notre civilisation il y a vingt ans, et nous n’avions pas d’autres armes pour nous battre contre le Rhône, ce renverseur de villes, ce ravageur de provinces. À notre gauche, voici le château de Beaucaire, tout en ruines ; la place forte d’autrefois est devenue une étable à bœufs ; à notre gauche, voici Tarascon, et plus haut le château bâti par le roi René ; nous sommes reçus par un pauvre crétin qui se chauffe au soleil.

Et maintenant que nous voilà sur la grande route, allons plus vite ; Arles n’est pas loin. Saluez cette charmante ville, et cependant ne craignez rien, je ne vous mène pas aux arènes, à ces arènes plus belles et mieux conservées, s’il est possible, que les arènes de Nîmes, et surtout silencieuses et désertes ; je n’ai rien à vous dire du théâtre, où se représentaient les comédies de Plaute et de Térence, spectacle