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LE VOYAGE D’UN HOMME HEUREUX.

plus digne d’une nation policée que tous les combats de gladiateurs ; je laisse de côté l’art gothique, les tombeaux des saints et des martyrs, et l’admirable tête de Diane, et la tête d’Auguste ; je ne suis pas un antiquaire, je ne veux pas l’être : c’est le plus pénible des métiers pour l’écrivain d’abord, pour le lecteur ensuite ; mais, cependant, venez avec moi, nous allons entrer, s’il vous plaît, dans le cloître de Sainte-Trophime. Eh ! vous l’avez vu, madame, par une nuit d’été, ce beau cloître, vous l’avez vu, d’abord sous le crépuscule fiévreux de la lune des morts, et ensuite tout étincelant de la musique de Meyerbeer. Vous avez admiré ces arceaux gothiques, ces grêles colonnades, l’herbe de ces dalles sonores, la mousse qui grimpe sur le beau visage de ces pâles statues enveloppées de leurs robes traînantes. C’est, en effet, le même cloître, c’est le même aspect ; mais peut-on comparer la toile peinte à de vieilles et saintes pierres ? Qu’ont-ils fait d’ailleurs, nos décorateurs d’opéra, des deux autels, et du clocher que soutiennent ces quatre pilastres, et de la tour romane à trois étages, et de toutes ces fines colonnettes qui sentent leur XIIe siècle d’une lieue, et surtout de ce beau portail tout chargé de ces innombrables figurines ? Comme aussi ne cherchez pas la croix de pierre où s’agenouille la gentille Alice ; cette croix n’est pas à Sainte-Trophime, elle s’élève sur les hauteurs du Hâvre, dans le cimetière de l’abbaye de Graville.

Non, une fois dans Arles, ce n’est pas de ces antiques murailles que je veux vous parler ; non, ces Romains, ces évêques, cet empire qui s’en va en laissant de si nobles vestiges, cette croyance qui se fonde par de si grands miracles, ce n’est pas là seulement tout ce qui nous frappe dans ces murs. Tenez, madame, regardez ! À chaque porte, à chaque fenêtre chastement entr’ouverte, sur les bords du Rhône grondeur, sous les vieux arbres, dans les églises où elles prient d’une façon charmante, voyez-vous, admirez-vous ces belles filles à l’œil si noir, à la peau si blanche, au maintien si noble ? Elles ont tout-à-fait le geste, le sourire, la dignité des jeunes grandes dames romaines ; elles savent qu’elles sont belles par droit de naissance, et elles ont soin de leur beauté, comme la ville a soin de ses arènes, par un orgueil national bien entendu. Et cette beauté dont elles sont fières à si juste titre, elles la parent de leur mieux, simplement, noblement, avec une bonne grace unie et charmante. Des pieds à la tête, il n’y a rien à reprendre. Remarquez, je vous prie, ce bas bien tiré sur cette jambe mignonne, ce pied vivement attaché à la jambe et cette main au bras, et comme le bras se replie noblement à l’ombre naissante de cette gorge que recouvre le plus fin mouchoir. Dans leur vêtement,