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ŒUVRES COMPLÈTES DE PLATON.

Il ne désarmera pas pourtant cette classe de prétendus philologues qui donnerait la théorie des idées pour un esprit rude ou un accent. Qui pourrait se flatter de traduire, en satisfaisant tout le monde sur tous les points, un ouvrage d’aussi longue haleine, hérissé de tant de difficultés ? il est fort possible que M. Cousin se soit trompé sur quelques détails ; j’aurais moi-même, si c’était ici le lieu, mes petites difficultés à lui proposer. Ce que je puis assurer, c’est que M. Cousin, ancien professeur de grec à l’École normale, M. Cousin, qui a traduit Platon d’un bout à l’autre, et qui s’est entouré, pour cela, de tous les lexiques, de toutes les traductions, de tous les commentaires, de toutes les dissertations anciennes et modernes, présente toutes les garanties que l’on peut demander à un traducteur. Mais il y a plus : c’est que la première qualité pour traduire Platon, la plus nécessaire, la plus indispensable, c’est de le comprendre ; j’entends, de comprendre sa philosophie. Et comprendre la philosophie de Platon, ce n’est pas seulement connaître à fond la théorie des idées en elle-même et dans ses origines historiques, ce n’est pas seulement saisir le lien qui l’unit au réalisme, concevoir le côté vrai et profond de cette théorie, soit par rapport à Dieu, soit dans la raison humaine, soit dans la réalité ontologique. J’appelle comprendre Platon posséder à fond sa doctrine, et de plus partager son inspiration et ressentir le souffle poétique qui l’anime. Platon raconte, dans l’Ion, qu’il y a comme une chaîne depuis les muses jusqu’aux hommes inspirés ; que les poètes, enfans des muses, en sont les premiers chaînons, et puis les rhapsodes, et tous ceux qui ressentent la contagion divine de l’inspiration et de la poésie. Platon est au plus haut bout de cette chaîne, et personne ne pourra ni le traduire ni le comprendre, s’il n’en fait partie. Aussi voyez quels sont les vrais traducteurs de Platon : en Allemagne, c’est Schleiermacher, et chez nous, M. Cousin.

Outre l’embarras de comprendre le sens matériel des phrases, et la difficulté bien plus grande de saisir le sens général de la philosophie de Platon, c’était une rude tâche que d’avoir à lutter contre un pareil maître en fait de style. Tantôt, en effet, c’est une conversation douce et tranquille, avec un certain mouvement qui la rend attrayante, et l’on ne peut donner une idée de ce style qu’en disant qu’il est aimable. C’est le style du Lysis, par exemple, et des conversations dans le Phèdre. Ailleurs, comme dans le Protagoras, ce sont des saillies perpétuelles, l’ironie la plus mordante ; Platon a beau dire : « Si Protagoras sortait de terre, seulement jusqu’au menton, il