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nous aurait bien vite confondus, » je n’en crois rien, et Platon ne le croyait pas davantage. Ne connaissait-il pas le fort et le faible du système de la sensation qui était celui de Protagoras ? Il l’a bien prouvé dans le Théétète. Et quand il a affaire à des adversaires moins sérieux, quelle verve bouffonne ! Quel inépuisable plaisanterie ! Euthydème et Dyonisdore poussés à l’extrémité de leurs systèmes absurdes, soutenant, parce qu’il le faut, que tout est vrai et faux à la fois, et qu’ils savent tout et qu’ils ne savent rien, s’embrouillant eux-mêmes dans leurs réponses et finissant par des injures : on dirait d’Aristophanes ; les sophistes du temps de Platon durent le maudire bien des fois. Non-seulement il les rendait ridicules, mais il livrait leur secret : tout cet appareil de la méthode sophistique, une fois connu, n’est plus rien. Quel châtiment ! C’était les réduire au silence. Il n’y a sur aucun théâtre un personnage plus comique que le Thrasymaque du premier livre de la République, avec sa colère, son dédain, son impétuosité, et cet orgueil qui s’exalte dans l’impuissance. Il veut prouver la thèse favorite des sophistes, que la justice n’est qu’un masque sous lequel se cache l’intérêt, seul mobile des actions humaines. Le ridicule ne suffit pas toujours à Platon contre de tels adversaires. Souvent son indignation déborde. Ce sont des empoisonneurs publics, des marchands forains qui trompent sur leurs denrées, ne songeant qu’au gain, indifférens sur le reste. Gardiens d’une bête féroce, au lieu de la dompter, ils flattent ses vices, les vices du peuple, qui s’enivre de leurs louanges, et leur jette en retour la pâture de leurs passions. Cela fait du bien, de voir cette colère d’un honnête homme. Il avait Socrate à venger et la philosophie à défendre. Quand Platon veut exposer sérieusement une doctrine, il le fait avec une fermeté, une précision, une clarté, que personne n’a surpassées. Il suffit de citer le Sophiste, le Philèbe, le Timée, les Lois. Il n’y a rien de plus solennel et de plus beau dans aucune langue que le septième et le dixième livre de la République. Le discours de la Destinée aux ames qui vont choisir une nouvelle vie est dans tous les souvenirs. Platon veut absoudre la justice de Dieu de l’inégalité qui est entre les hommes. « La vertu n’a point de maître, elle s’attache à qui l’honore, et néglige qui la méprise. On est responsable de son choix : Dieu est innocent. » Et les paroles de Dieu, dans le Timée, lorsque après avoir formé l’univers il rassemble autour de lui les dieux immortels, et leur confie le soin de la destinée des hommes : « Dieux des dieux, vous dont je suis l’auteur et le père, vous êtes immortels, parce que je le veux. » On voudrait tout citer, et pourtant chaque citation est