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SCHILLER.

faite de Goethe n’a pas été amoindrie par cette rencontre ; mais je doute qu’il puisse jamais y avoir entre nous un grand lien. Beaucoup de choses qui m’intéressent encore, qui occupent mes désirs et mes espérances, sont déjà épuisées pour lui. Dès son point de départ, sa nature est tout autre que la mienne, son monde n’est pas le mien, et nos manières de voir diffèrent essentiellement. Cependant on ne saurait tirer aucune conséquence certaine de cette première entrevue. Nous verrons plus tard ce qui en résultera. »

Schiller revint à Weimar, très épris de Mlle de Lengefeld, très occupé en même temps de l’étude d’Homère et des tragiques grecs. « Les anciens, écrivait-il à un de ses amis, me donnent une vraie jouissance ; j’ai besoin d’eux pour corriger mon goût, qui, par la subtilité, la recherche, le raffinement, commençait à s’éloigner beaucoup de la véritable simplicité. » Plus loin, en parlant d’Euripide, il ajoute : « Il y a pour moi un intérêt psychologique à reconnaître que toujours les hommes se ressemblent ; ce sont toujours les mêmes passions, les mêmes luttes du cœur et le même langage. »

À la suite de cette étude, il traduisit l’Iphigénie d’Euripide et les Phéniciennes. Plus tard, elle fut aussi un de ses principaux mobiles, lorsqu’il écrivit la Fiancée de Messine.

Pendant un second séjour à Weimar, il revit Mlle de Lengefeld, et les sentimens qu’il avait conçus pour elle se fortifièrent. Il retourna passer quelques semaines auprès d’elle, et s’en revint avec l’espoir de ne pas lui être indifférent. Le désir qu’il avait souvent exprimé de retrouver le calme, les joies de la vie de famille, s’éveilla alors plus fortement dans son cœur. « Jusqu’à présent, écrivait-il dans une de ses lettres, j’ai vécu isolé et pour ainsi dire étranger dans le monde ; j’ai erré à travers la nature, et n’ai rien eu à moi ; j’aspire à la vie domestique et bourgeoise. Depuis bien des années, je n’ai pas éprouvé un bonheur complet, non que les occasions d’être heureux me manquent, mais parce que je surprends seulement la joie et ne la savoure pas, parce que je suis privé des douces et paisibles sensations que donne le calme de la vie de famille. »

Sa position, si brillante qu’elle fût, n’était pourtant pas alors assez assurée et ne présentait pas assez de garanties positives pour qu’il osât demander la main de celle qu’il aimait. Le duc de Weimar lui offrit un moyen de la consolider en le nommant professeur d’histoire à l’université d’Iéna. Cette nomination, qui devait l’aider à réaliser ses vœux les plus tendres, mais qui lui imposait un devoir régulier, ne lui causa d’abord qu’une joie médiocre, tant il craignait de perdre