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REVUE. — CHRONIQUE.

juillet ne peut méconnaître tout ce qu’il y a à son égard de froideur et de mauvais vouloir dans plus d’un cabinet étranger ; elle ne peut pas fermer les yeux sur les manœuvres qu’on emploie pour exciter contre nous les gouvernemens et les peuples ; enfin elle sait que la question d’Orient est à peine assoupie, et qu’elle peut se réveiller demain plus ardente que jamais. Il nous faut donc, ce n’est pas seulement un droit, c’est un devoir, un devoir sacré envers le pays, il nous faut la paix armée ; il nous faut un état militaire que les chambres ont évidemment eu en vue, et auquel elles ont applaudi.

Il faut pourtant se le rappeler, se le dire ; si on s’est conduit sans façon à notre égard, si on a traité la France en puissance de second ordre, ce n’est pas que notre gouvernement ne fût dignement représenté à Paris et à Londres ; c’est qu’on savait que nous étions désarmés, c’est qu’on connaissait comme nous l’état de notre cavalerie, de notre artillerie, de nos places fortes, de nos arsenaux ; c’est qu’on était certain qu’il nous faudrait dix mois avant de pouvoir parler, négocier à la tête d’une armée prête à entrer en campagne. On a osé passer outre en présence de la France désarmée ; on y aurait pensé à deux fois si le télégraphe avait pu porter à trois cent mille hommes l’ordre de marcher à la frontière.

Notre désarmement en l’état actuel de l’Europe fausse notre politique et fourvoie nos hommes d’état. Qu’on confie nos affaires aux hommes les plus calmes, les plus sages, les plus pacifiques, nous le voulons bien ; les questions de personnes sont en seconde ligne pour nous. Mais quels que soient nos ministres, qu’ils puissent sérieusement opter, selon les circonstances et les droits du pays, entre les concessions et la résistance, entre la paix et la guerre. Il n’y a pas d’option possible aujourd’hui pour un pays désarmé ; surtout, il faut bien le reconnaître, dans un pays de démocratie, et de démocratie bourgeoise.

D’un côté, les démocraties n’ont point de secret, rien de caché. Amis et ennemis, ils connaissent tous également tout ce qu’elles sont, tout ce qu’elles pensent, tout ce qu’elles font, tout ce qu’elles se proposent de faire.

D’un autre côté, la bourgeoisie (certes nous n’avons pas l’envie d’en médire), lorsqu’on laisse refroidir ses premières impressions, lorsque les blessures de sa nationalité commencent à se cicatriser par l’effet du temps, par le courant des affaires, sent bientôt les flots de sa colère s’abaisser ; l’esprit de calcul la saisit, avec ses chiffres ; le foyer domestique l’endort par son calme, et au milieu de ses bonnes et douces pensées bourgeoises, la chose publique risque de se trouver quelque peu oubliée, quelque peu rapetissée.

Le gouvernement du pays n’a toute la liberté d’action qui lui est nécessaire pour les intérêts et la dignité de la France, que lorsque la paix est armée, lorsqu’il peut, d’un jour à l’autre, jeter dans la balance européenne l’épée de la France. Tant qu’il y aura à l’horizon les nuages qui depuis quelque temps ne cessent de s’y amonceler, la paix armée n’est pas une convenance, c’est une nécessité, c’est la vie même, la vie politique de la nation.

C’est une nécessité qui coûte cher, nous le savons ; mais, ces dépenses ne sont