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trombones et de timballes, en ayant bien soin de remonter la scène pendant les ritournelles. Si les traditions de la pantomime italienne, les excellentes traditions du bon vieux théâtre Louvois, étaient perdues, ce qu’à Dieu ne plaise ! on les retrouverait en ce moment à l’Opéra. À tout prendre, c’est là une partition de plus dans le bagage de M. Donizetti, une partition dont ni l’auteur ni le public ne se souviendront dans quelques jours. On me disait dernièrement que M. Donizetti ne savait pas lui-même le nombre de ses chefs-d’œuvre, je le croirais assez volontiers. Il en est un peu des compositions d’un maître comme de l’âge d’un cheval ; passé le chiffre sept, on ne compte plus. Quant à la pièce, libretto s’il en fut, on la croirait traduite de Romani, tant elle a les qualités et les défauts qui distinguent la plupart des œuvres dramatiques du poète de Turin. Le style, bien qu’il affecte trop souvent une certaine poésie déclamatoire qui rappelle un peu l’école de M. de Jouy, est cependant plus élégant et plus soigné que d’ordinaire. Mais quelle inexpérience dans l’élaboration du drame ! quel défaut absolu d’invention dans les moyens mis en œuvre pour préparer le but qu’on se propose ! Où trouver dans cette pièce une scène, une idée, une intention, qu’on n’ait déjà rencontrées ailleurs ? Ce jeune novice dans le cloître, qui raconte au prieur de Saint-Jacques ses amours pour une dame inconnue, c’est Guido chantant sa mélancolique romance ; cette Léonor au milieu de sa cour de baigneuses, c’est la Marguerite de Navarre des Huguenots ; ce vieux prêtre lançant les foudres de Rome sur le roi de Castille, c’est le cardinal du troisième acte de la Juive ; ce moine reconnaissant sous le froc les traits de sa maîtresse inanimée, c’est Comminges. Qu’on s’étonne après cela que la musique de M. Donizetti abonde en réminiscences de toute espèce. Comment ne pas céder à l’occasion lorsque vos poètes vous la font si belle, et qu’on a sur ce point la conscience un peu faible ? M. Donizetti se sera dit : Une situation de la Juive ne saurait être mieux rendue que par la musique de la Juive, et rien au monde ne convient mieux à une situation des Huguenots que la musique des Huguenots. Est-ce de la logique, oui ou non ? — En général, les tentatives romantiques ne sont pas heureuses à l’Opéra, et M. Scribe finit toujours par rester maître du terrain. Au moins, avec M. Scribe, dans ses bonnes pièces s’entend, les fils des combinaisons scéniques se croisent et s’enlacent avec art, les passions dramatiques se développent, et, si vous avez moins de belles périodes ronflantes et de vers bien frappés, les rhythmes sont traités avec plus d’exactitude et de mesure. Or, c’est de rhythme que vit la musique, et non pas de beaux vers. Certes, nous ne sommes pas de ceux qui se gendarment contre toute idée nouvelle. Nous voudrions de toute notre ame voir la scène lyrique française aux mains de quelque grand poète capable d’ébaucher à loisir toutes les figures que la musique anime et passionne. Mais où le trouver ce poète ? Shakespeare et Schiller ne sont plus de ce monde, et s’ils vivaient de nos jours, au lieu de donner leurs chefs-d’œuvre à Meyerbeer, à M. Halévy, à M. Donizetti, ils auraient le bon esprit de les garder pour eux, comme ils ont fait. Laissons donc cette besogne à ceux qui s’en acquittent le mieux de notre temps,