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REVUE. — CHRONIQUE.

ou, si nous voulons à toute force nous en mêler, tâchons d’inventer quelque chose ; car, pour nous traîner sur les traces de chacun, en vérité ce n’est pas la peine. Que dire de ce roi imbécile, de cette Marion de Lorme transformée en une courtisane du XIVe siècle, de ce capucin ridicule qui se prend de belle flamme pour une princesse, jette le froc aux orties, vole aux combats, et ne se donne que le temps d’aller changer de costume pour revenir vainqueur et digne de la main de sa belle ? Ce sont là des personnages qu’on irait voir aux marionnettes. Le dernier surtout, ce jeune novice que Duprez représente, mérite toutes les sympathies du public, et pour être complet, il ne lui manque, à mon sens, que ce fameux bouquet de plumes tricolores dont le ténor David s’affublait dans ses rôles de prince pour venir chanter sa cavatine di gloria et d’amore. Et l’action, sur quels pauvres ressorts elle se meut ! que de bonhomie dans les expositions, de simplicité antique dans les péripéties ! Les mystères du moyen âge n’étaient pas plus naïfs. S’agit-il de provoquer une rupture entre le roi et sa favorite, une lettre se trouve là fort à propos et vient comme d’elle-même tomber entre les mains d’Alphonse. S’agit-il de motiver le ballet, le roi prend la reine par la main, et la conduit sur un trône à droite du spectateur, en lui disant ces paroles sacramentelles :

Prenez part à la fête
Que j’ai fait préparer,

absolument comme au temps de la Caravane ; comme aux beaux jours de Grétry et de Laïs. On replâtre de grands mots les plus vieilles idées, on habille à neuf le passé, on change les toques de velours en capuchons de soie, les bottes jaunes en sandales de feutre, et cela s’appelle aujourd’hui de la poésie nouvelle, de la musique nouvelle, de l’art enfin.

L’ouverture de la Favorite est un pauvre morceau tout hérissé de contrepoint et de formules scolastiques ; nous doutons que M. Donizetti l’ait écrit tout exprès pour cette partition, à moins cependant que le maître italien n’ait voulu payer en fugues sa bienvenue à l’Opéra. Cette ouverture a l’air de s’adresser directement à M. Halévy, et de lui tenir ce langage : « Vous prétendez, vous, que les Italiens ne savent écrire que des cabalettes ; je veux vous prouver, moi, Gaetano Donizetti, que nous nous entendons fort bien à traiter une fugue dans les règles, et que les traditions du conservatoire de Naples valent au moins les traditions de la rue Bergère. » Quand M. Donizetti s’est escrimé pendant dix minutes, et pense que M. Halévy doit être parfaitement satisfait, le rideau se lève. Une procession de moines traverse le théâtre au son d’une musique lugubre ; deux frères se détachent des rangs, s’avancent devant le trou du souffleur, et voilà l’exposition engagée. N’admirez-vous pas ce système qui tient à la fois du récit classique et de l’action romantique, du Bajazet de Racine et du Don Juan de Mozart ? Jadis, au bon temps de M. de Jouy et de la Vestale, les deux moines seraient sortis des deux coulisses opposées, et venant, l’un de droite, l’autre de gauche, on les aurait vus s’aborder solennellement sur le proscenium avant d’entrer en ma-