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REVUE. — CHRONIQUE.

glots de la prière sous les traits de malheureux comparses qui se meurtrissent le visage et la poitrine, et s’efforcent de simuler l’acte de contrition dans leur pantomime grotesque, c’est là une chose triste en vérité, d’autant plus triste, que la musique n’en tire aucun avantage. Et franchement nous ne voyons pas ce qu’un théâtre peut avoir à gagner à d’aussi pitoyables spéculations. Comme on le pense bien, cette musique, prétendue religieuse, est dénuée parfaitement de caractère. M. Donizetti écrit pour l’orgue comme il écrirait pour le piano, et ses plains-chants ressemblent à des fragmens de cavatine. Il faut cependant donner des éloges à la phrase mélodieuse qui s’élève du fond de la chapelle au moment où Fernand prononce ses vœux. Cette phrase, admirablement disposée pour la voix, et que Duprez chante posément, a de l’expression et de la grandeur. C’est du reste la seule inspiration qui se rencontre dans cet acte, où la musique n’intervient que pour accompagner, comme dans un mélodrame, l’entrée et la sortie des moines et des pèlerins. Telle est cette partition, l’une des plus vides que M. Donizetti ait écrites, la plus faible sans contredit, la plus insipide que nous ayons entendue à Paris du même auteur. Si l’on excepte les deux fragmens que nous avons cités, tout le mérite de cette œuvre consiste à produire dans l’éclat de ses facultés et de son talent le nouveau baryton que l’Académie royale de Musique vient de s’attacher. M. Donizetti n’a point à se plaindre ; car, s’il a rendu service à M. Baroilhet en écrivant pour lui de la musique de chanteur, M. Baroilhet l’a pleinement dédommagé de sa peine en attirant par son art souvent admirable les applaudissemens et l’intérêt du public sur quelques parties d’une composition des plus médiocres. On dit que les grands chanteurs n’aiment rien tant que la pauvre musique ; s’il en est ainsi, M. Baroilhet ne peut manquer d’être fort satisfait de M. Donizetti, qui certes doit avoir une royale idée de son chanteur, si l’on en juge par la manière dont il l’a traité. Baroilhet nous revient d’Italie, où, comme Duprez et tant d’autres, il était allé chercher des titres à la considération de nos directeurs de spectacles. Il y a quelques années, c’était à qui le répudierait ; aujourd’hui, grace aux applaudissemens du public de Naples, de Milan et de Venise, grace surtout à la sollicitude des maîtres italiens, les seuls qui soient encore capables de féconder une voix en travail de développement, les portes de l’Académie royale de Musique viennent de s’ouvrir d’elles-mêmes devant lui. La voix de Baroilhet est un baryton sonore, flexible, étendu, qui monte du la bémol au fa et ténorise par momens avec une agilité remarquable. Un peu voilé dans les cordes basses, cet organe trouve dans le médium toute sa vibration mordante, tout son timbre ; c’est là qu’il faut l’entendre, dans le cantabile surtout. Le chant large et posé convient à merveille à Baroilhet, qui le dit d’un organe enchanteur dont un style excellent, puisé aux bonnes sources, règle l’expression et le mouvement. Dans l’allegro, Baroilhet a moins de bonheur ; sa voix (comme il arrive toujours aux chanteurs de complexion délicate, et Baroilhet est de ce nombre), sa voix prend, lorsqu’elle veut forcer, une vibration gutturale pénible à entendre, et sur-le-champ l’intonation devient fausse