Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/892

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
888
REVUE DES DEUX MONDES.

Les leçons que M. Egger a consacrées aux tentatives de la critique avant Aristote, c’est-à-dire au premier éveil du génie esthétique, ont été fort bien accueillies. Mais c’est là de l’histoire littéraire, ce n’est pas encore de la théorie. M. Géruzez, au contraire, a abordé dès l’abord la dogmatique de l’art ; et, avec une grande finesse et une véritable sagacité psychologique, il en a recherché les conditions et déterminé les lois. Sans se perdre dans la transcendante esthétique de Hegel ou des Schlegel, sans se résigner au terre à terre de Marmontel et de La Harpe, il a établi et dégagé les vrais principes du beau, pour en chercher ensuite les applications dans notre littérature. Voilà l’esthétique qui partout se substitue à la rhétorique. On me permettra de dire que c’est un progrès, une conquête.

Tout se touche dans les lettres, et je n’ai pas besoin de transition pour passer au cours de poésie latine. La grace particulière à l’enseignement de M. Patin, cette érudition solide qui pourtant ne s’interdit pas l’agrément, cette parole élégante qui fait si bien goûter les antiques modèles toujours jeunes, tant de qualités charmantes et en même temps sérieuses, ont depuis long-temps assuré un auditoire assidu au cours de poésie latine, autrefois aussi désert que le cours de littérature grecque. M. Patin traite cette année du drame chez les Latins, et sa première leçon a été consacrée à une vue générale sommaire de la tragédie romaine dans ses rapports avec le théâtre grec qu’elle a imité, avec le théâtre moderne qu’elle a quelquefois inspiré. Les faits et les idées que M. Patin a exposés dans cette première leçon se grouperont, dans la suite du cours, tantôt autour d’ouvrages demeurés entiers, comme ceux qui portent le nom de Sénèque, tantôt, au contraire, autour d’ouvrages perdus et connus seulement par des témoignages qu’il faudra recueillir, par des fragmens qu’il faudra restituer, où il faudra chercher avec patience et curiosité la trace effacée du monument primitif. M. Patin a annoncé l’intention de transporter ces tragédies, tirées de l’oubli, sur la scène même du théâtre romain, relevée par l’érudition. Il placera les dialogues dans la bouche de leurs antiques interprètes les Roscius et les Œsopus ; en d’autres termes, il mêlera l’histoire du drame à celle de la représentation scénique. À défaut des vieux textes, les auteurs d’un autre temps et d’un autre genre, qui se sont inspirés des souvenirs de ce théâtre, pourront quelquefois parler à la place d’Ennius, de Pacuvius, d’Attius, qui pour nous se taisent bien souvent. Dans cette évocation intéressante d’une scène bien mal connue et bien sévèrement jugée (puisqu’on ne la juge que par Sénèque), M. Patin rapprochera sans cesse la tragédie latine de la grecque son modèle, de la française en partie son élève ; il la montrera entre deux influences, l’une reçue par elle, l’autre qu’elle a exercée ; il caractérisera enfin ces influences dont l’action n’a pas toujours été aussi simple qu’on le dit. C’est un programme bien choisi. Il y a six ans déjà que M. Patin enseigne à la Faculté des Lettres ; et chaque année affermit et constitue son succès.

Dirai-je un mot de la philosophie après la littérature ? Il y a un nom au moins que je ne saurais omettre sans injustice. M. Jules Simon, abandonnant