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et les philosophes, mais on n’y ajoute plus. Il n’importe ; cette érudition, pour un temps stérile, produira plus tard ses fruits. Quoique les écoles philosophiques de la Grèce n’aient à Alexandrie que des représentans obscurs, elles y sont cependant représentées ; les traditions religieuses de l’Égypte s’y conservent au fond des sanctuaires ; les Arabes, les Perses et surtout les Juifs remplissent la ville ; toutes ces doctrines placées en présence, et qui vivent ensemble sans se combattre, fournissent au moins la matière d’une érudition qui pourra devenir féconde ; c’est l’avenir d’un éclectisme le plus érudit et le plus compréhensif qui fut jamais.

Il y avait peut-être une cause à cette stérilité philosophique, et si M. Matter, qui la remarque sans l’expliquer, avait comparé la situation des esprits à cette époque en Grèce et dans Alexandrie, il aurait trouvé le secret de cette infériorité des philosophes alexandrins. En Grèce, où les écoles socratiques avaient jeté tant d’éclat dès leur principe, où elles répondaient si bien au caractère national, où la présence d’écoles rivales entretenait le feu sacré dans tous les esprits, un grand mouvement philosophique n’était pas seulement naturel, il était en quelque sorte nécessaire. Mais l’Égypte, toute grecque qu’on avait voulu la faire, était demeurée l’Égypte. Ce vieux peuple, fier de sa vieillesse et de ses traditions, serré autour de ses prêtres et regardant toujours le passé, n’avait pu être entamé dans ses mœurs et dans ses croyances. Le génie plus mobile des vainqueurs avait subi au contraire l’influence des mœurs égyptiennes. Quelques sophistes venus des îles, et qui formaient la cour frivole et dissolue des Lagides, conservaient toute la légèreté de leur caractère national ; mais les membres du musée, fixés à Alexandrie, attachés à l’Égypte, placés sous la présidence d’un prêtre, avaient contracté à la longue une certaine affinité avec cette immuable civilisation, et quelque chose de religieux, de sacerdotal, s’était peu à peu glissé dans leurs esprits. Les Lagides eux-mêmes, dont la politique était d’amener une fusion qui ne se réalisa jamais complètement, s’étaient appliqués avec persévérance à faire naître et à entretenir chez les Grecs le respect des traditions, cette première religion de l’Égypte. La philosophie n’avait donc en Égypte qu’un intérêt de pure spéculation, et la tendance commune des esprits les portait à s’attacher aux dogmes traditionnels et à respecter tout ce qu’avaient consacré les siècles. L’érudition mise à la place de la réflexion, la foi implicite que réclame chaque religion accordée à toutes simultanément, les doctrines philosophiques assimilées aux dogmes religieux, tel est le caractère général qui se