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L’ÉCOLE D’ALEXANDRIE.

retrouve de bonne heure chez les savans de l’école d’Alexandrie, et il explique les deux phases de la philosophie alexandrine ; impuissante et stérile tant que le polythéisme ancien n’a d’autre ennemi que l’indifférence, elle se réveille tout à coup et devient une école puissante et originale, quand une religion nouvelle attaque toutes les religions et toutes les philosophies de l’antiquité. Cette érudition universelle élaborée pendant cinq siècles, cette fusion de la Grèce et de l’Égypte, cet attachement aux anciennes mœurs et aux vieilles doctrines qui triomphe peu à peu de la versatilité de l’esprit grec, tout cela prépare à merveille les savans d’Alexandrie à devenir plus tard les défenseurs opiniâtres du passé et à tenter cette résurrection d’un monde déjà mort, entreprise de géans dans laquelle ils ont péri.

La fin de ce grand et glorieux empire des Lagides est une lamentable histoire : les fureurs de Ptolémée-Kakergète, qui faisait massacrer d’un seul coup tous les enfans d’un gymnase ; l’invasion d’Antiochus ; des minorités agitées et turbulentes ; l’usurpation par le meurtre et l’adultère ; la protection des Romains, fléau plus grand que tous les autres ensemble, achetée à prix d’or par Ptolémée-Aulète, et payée plus tard par des provinces, telle est la série de désastres qui se termina par la conquête romaine. Quand une jeune reine, presqu’un enfant, occupa le trône des Ptolémées, les graces de son esprit et de sa personne, sa passion pour la gloire, son amour de la science, ne purent préserver ni son peuple ni elle-même. Maîtresse de César, esclave d’Auguste, elle prodigua à l’un les trésors des Ptolémées et fut dépouillée par l’autre de son trône et de la vie.

Il est vrai que pour imiter Alexandre, et peut-être aussi dans des vues politiques bien entendues, les empereurs accordèrent leur protection au musée et aux écoles scientifiques d’Alexandrie. La bibliothèque de Pergame, déposée au Sérapéum, vint remplacer la grande bibliothèque incendiée. Auguste et ses successeurs s’étudièrent à l’envi à combler de bienfaits cette capitale du monde savant ; l’empereur Claude, à côté du musée des Lagides, éleva le Claudium, institution rivale, organisée sur le même plan, et il imposa aux savans des deux musées, l’obligation de lire alternativement chaque année, en séance publique, les ouvrages historiques qu’il avait lui-même composés. Mais tout cela ne rendait pas à Alexandrie la cour des Lagides, ces princes de race grecque, élevés parmi les savans du musée, cultivant eux-mêmes les lettres et passant leur vie dans des entretiens philosophiques. Transformée en province de l’empire, l’Égypte devenait comme un lieu d’exil pour les esprits du premier