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à la France des auxiliaires plutôt embarrassans qu’utiles, leur créa, pour ainsi dire, le titre d’alliés de fait, et provoqua des prétentions que nous verrons bientôt s’élever contre notre liberté d’action. La garnison argentine fut transportée à Buénos-Ayres.

Jusqu’ici du moins, on ne pouvait pas nous reprocher de nous être fait une arme de la guerre civile, car le général Rivera, président légal de la république de l’Uruguay, était un pouvoir souverain dont nous acceptions la coopération sans blesser le droit international. Il faut dire, à la louange, de ce chef, qu’il faisait un noble et digne usage de son triomphe : non-seulement il ne souilla son succès d’aucun acte de vengeance, d’aucune cruauté, mais encore il montra une clémence sans bornes. Nulle opinion ne fut violentée ; ses ennemis purent exhaler contre lui toute leur mauvaise humeur sans qu’il les en punît. En vain chercha-t-on à l’irriter contre les partisans d’Oribe, qui ne le ménageaient guère ; il résista à toutes les mauvaises suggestions. Cependant il était revêtu de pouvoirs extraordinaires, et il ne reculait devant aucune responsabilité de ses actes. Placé comme Rosas au-dessus de la loi, tandis que celui-ci s’armait d’une main de fer et régnait par la crainte, Rivera caressait tout le monde et cherchait dans le cœur des hommes qu’il commandait une puissance plus douce et peut-être plus solide.

§ IV. — M. BUCHET-MARTIGNY. — PREMIÈRE COALITION CONTRE
LE GÉNÈRAL ROSAS.

Vers cette époque arriva à Montevideo M. Buchet-Martigny, consul-général et chargé d’affaires de France à Buénos-Ayres. Il avait l’ordre d’examiner les choses, et, selon sa conviction, de recourir, pour terminer le différend, aux moyens pacifiques ou aux mesures de rigueur. Jusqu’alors on avait senti dans la direction de cette affaire quelque chose d’incertain, une allure malaisée et presque sans franchise, une sorte de désaccord entre la tête qui concevait et la main qui exécutait. C’est que sans doute le contre-amiral éprouvait une sorte de honte de se trouver obligé de recevoir l’impulsion du jeune consul, d’agir d’après une pensée qu’il blâmait parfois en secret, et qu’il aurait pu dès l’abord soumettre à la sienne, mais qui le dominait désormais parce qu’il en avait été un instant subjugué. Par intervalles il s’efforçait d’y échapper, comme on le vit à la prise de Martin-Garcia, tentative violente qui ne faisait que compliquer nos affaires et que n’approuvait point l’agent consulaire, qui désavoua publiquement la conduite de l’amiral. Mais en vain le chef militaire se regimbait-il, la force des choses l’entraînait dans la voie où il s’était laissé fourvoyer.

L’arrivée de M. Buchet-Martigny imprima un caractère plus net et plus tranché à nos opérations. Depuis quatorze ans bientôt, M. Buchet-Martigny résidait auprès des républiques de l’Amérique ; il avait même fondé les premières relations politiques et commerciales de la France avec plusieurs d’entre