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flottille dans l’Uruguay ont été ses plus fermes soutiens. Qu’on jette un coup d’œil sur l’état politique de la Bande Orientale : deux partis, nous l’avons déjà dit, les rouges et les blancs, s’entredéchirent. La rive de l’Uruguay, guidée en cela par son intérêt bien marqué, tenait pour Oribe, car l’Uruguay, dont les eaux baignent à l’occident l’Entre-Rios et à l’est la frontière de l’état oriental, est la grande artère du commerce intérieur de cette dernière république. Les grands navires le remontent jusqu’au Salto, et de là des bateaux plats ou d’un faible tirant d’eau transportent fort avant dans le nord, vers la frontière du Brésil, les marchandises de l’Europe en échange des produits du pays. Ces productions, on le sait, sont peu variées, mais très volumineuses ; elles consistent en bois, dont la partie inférieure du fleuve est totalement dépourvue, en cuirs, laines, graisses, fromages, troupeaux et débris d’animaux. De là un grand mouvement de navires. Plusieurs villes ont surgi spontanément pour l’entretien de ce commerce ; elles sont échelonnées le long du fleuve comme des étapes de navigation. Nous devons les décrire, car la France ignore encore jusqu’au nom de ces villes naissantes, et cependant leur existence toute commerciale nous intéresse à un haut degré ; on ne se représente pas assez ce qu’il y a de vitalité sur les bords de ces grands fleuves de l’Amérique. Paysandou, la principale, ne le cède déjà en grandeur et en importance qu’a Montevideo : elle a six mille habitans, et l’on y compte habituellement près de cent bâtimens de commerce, soit goëlettes, soit bricks, qui mouillent le long de la rive, dont la berge à pic forme un quai naturel, où ils déposent et embarquent leurs marchandises avec une facilité extrême ; les maisons sont neuves, régulières et belles. Plus haut, à vingt lieues environ dans le nord, se trouve la jolie petite ville de Salto : là, ainsi que nous l’avons dit, s’arrêtent les grands navires, et les bateaux y fourmillent, tantôt remontant ou descendant le fleuve, tantôt se transportant d’une de ses rives à l’autre ; on n’y compte encore que quelques jolies maisons et environ mille habitans, mais ce n’est qu’une ville naissante, et tout y respire une activité prodigieuse. Belem, à vingt lieues au-dessus du Salto, vient à peine d’éclore : son port est le rendez-vous d’une multitude de lanchons, de canots, de pirogues, de baleinières ; c’est le vrai port des bateaux. Un fait à remarquer, c’est que toutes ces villes sont situées sur la rive orientale, et qu’elles monopolisent le commerce des deux bords. Il leur importe donc beaucoup qu’il y ait paix entre l’Entre-Rios et la république cis-platine, union et commerce réciproque entre les deux pays. De là leur préférence pour Oribe, l’ami de Rosas et d’Echague ; de là leur répulsion pour Rivera, dont la seule présence allumait la guerre et tarissait le commerce de l’Uruguay, car, chez les peuples ainsi que chez les individus, l’intérêt guide les affections. Aussi Paysandou fut-il le dernier boulevard d’Oribe, et, malgré la présence de nos navires, il devenait chaque nuit une sorte de coupe-gorge ; des partis de blanquillos battaient la campagne et semaient partout la terreur. Combien de fois nos marins ne recueillirent-ils pas de malheureuses familles expulsées par la guerre civile ! Les égorgemens cessaient là où apparaissait le drapeau tricolore. Ce fut notre plus beau rôle.