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well lui dit : « Allons donc, Ormiston, depuis long-temps cela a été convenu à Craigmillar entre les seigneurs et la reine. »

À l’existence avérée de cet engagement de mort, qu’attesta le même Ormiston sur l’échafaud, se rattache une circonstance bizarre, que M. Patrick Fraser Tytler a le premier traînée dans le domaine de l’histoire. Un des Italiens attachés à Marie, nommé Lutini, quitta précipitamment l’Écosse et se réfugia en Angleterre, au moment où tous les affidés de Marie, et entre autres, Joseph Riccio, frère de David et ami de Lutini, se concertaient pour tuer Darnley. La reine Marie, apprenant son départ, fit courir sur ses traces, avec une précipitation et une inquiétude qui donnèrent l’alarme aux agens anglais d’Élisabeth. « La reine Marie, écrivait Drury à Cecil, prétend que ce Lutini est un voleur et qu’il emporte de l’argent ; mais cela n’est pas vraisemblable, je penserais plutôt qu’il est possesseur d’un secret qu’elle ne désire pas voir divulgué[1]. » Le diplomate ne se trompait pas. On trouva, dans les poches de Lutini, examiné par les autorités anglaises, une lettre que venait de lui adresser, après sa fuite, son ami Riccio, et qui existe tout entière en manuscrit original, aux archives d’Angleterre, portant cette étiquette écrite de la propre main du ministre Cecil : « Lettre de Joseph Riccio, serviteur de la reine des Écossais. » Dans cette importante et singulière lettre, Joseph dit à son ami : « Vous êtes soupçonné d’avoir fouillé indiscrètement dans les papiers de la reine, et nous sommes, vous et moi, regardés comme des traîtres. On va vous amener et vous interroger. Prenez garde à ce que vous répondrez. Suivez la leçon que je vous ai déjà faite. » — « Se voi dite come mando sarete scusato, e io ancora. La regina vi manda ci pigliare per parlar con voi ; pigliate guardia a voi, che voi la conoscete, pigliate guardia che non v’abuzzi delle sue parole come voi sapete bene ; e m’ha detto che vuoi parlare a voi in segreto. E pigliate guardia delli dire come vi ho scritto e non altramente… Vi prego di non voler esser causa della mia morte…[2]. » Il y allait donc de la vie ; il s’agissait d’un grand secret. L’escroquerie d’un étranger, le vol invraisemblable de quelques écus, attribué à un personnage qui passait pour assez considérable à cette cour, n’expliquent nullement l’inquiétude de Marie, la lettre de Riccio, la terreur de l’un, la fuite de l’autre, et les recommandations répétées pigliate guardia, pigliate

  1. 23 janvier 1567, Drury à Cecil.
  2. La lettre de Joseph a été imprimée sur l’original par M. Patrick Fraser Tytler