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Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/418

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REVUE DES DEUX MONDES.


Don Mendo (s’enveloppant la figure dans son manteau). — Vive Dieu !… c’est Garcia… Bon courage, il n’est plus temps de reculer… Voilà ce qu’on gagne à se confier à un manant.

Don Garcia. — Mon gentilhomme, — si pourtant l’auteur d’une telle bassesse peut l’être en effet, — si quelque besoin impérieux vous a entraîné à tenter de me voler, dites-moi ce que vous désirez ; je vous promets, foi d’homme d’honneur, d’essayer de vous satisfaire.

Don Mendo. — Laissez-moi partir, Garcia.

Don Garcia. — Pour cela, non. Je dois d’abord savoir qui vous êtes. Découvrez-vous sans plus tarder, ou la balle de cette arquebuse m’en fera raison.

Don Mendo. — Prenez donc garde à ne pas me manquer ; car je vous avertis qu’une fois désarmé, la partie entre vous et moi ne serait plus égale. Votre cause peut être plus juste que la mienne ; mais, en valeur, comme en naissance, la supériorité que j’ai sur vous compenserait bien, je crois, cet unique avantage. Le cordon qui décore ma poitrine vous fera connaître ce que je suis. (Il jette son manteau.)

Don Garcia (à part, laissant tomber son arquebuse). — C’est le roi ! Le ciel me soit en aide ! Et ses paroles me prouvent qu’il sait que je le connais. Honneur, devoir, que faire ? Comment sauver l’un sans manquer à l’autre ?

Don Mendo (à part). — Que je reconnais bien là l’ame basse d’un vil roturier ! Le respect que mon rang lui inspire le glace d’effroi… Le moindre effort de mon courage eût suffi pour me tirer des mains d’un pareil homme. C’est donc là celui dont le comte d’Orgaz vantait tant la bravoure ! Le bon vieillard ne s’y connaît plus. (Haut.) Vous me trouvez dans votre maison ; je ne puis ni fuir ni le nier ; j’y suis entré cette nuit…

Don Garcia. — Pour me voler l’honneur… Certes vous me payez bien l’hospitalité que Blanche et moi nous vous avons donnée. Votre conduite et la mienne présentent un étrange contraste. Outragé par vous, je continue à vous respecter, et vous, à qui j’ai donné des preuves d’un loyal dévouement, c’est par une injure mortelle que vous m’en récompensez !

Don Mendo (à part, voulant ramasser l’arquebuse de don Garcia). — Il faut se défier d’un homme de cette classe, lorsqu’on l’a offensé. Cette arme me servira de défense.

Don Garcia. — Que faites-vous ? Laissez là cette arquebuse. Si je vous empêche d’y toucher, c’est que je ne veux pas que vous puissiez attribuer à l’avantage qu’elle vous donnerait la fin de cette aventure. Le cordon qui orne votre poitrine a suffi pour vous protéger ; les rayons du soleil de la Castille vous ont sauvé en m’aveuglant.

Don Mendo. — Enfin, vous me connaissez ?

Don Garcia. — Jugez-en par ma conduite.

Don Mendo. — Mon rang ne me permet pas de vous donner satisfaction. Que ferons-nous ?