Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/421

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
417
THÉATRE ESPAGNOL.

Don Garcia (derrière le théâtre). — Don Mendo, voilà ce que c’est que l’honneur. (Il le frappe de son poignard.)

Don Mendo. — Je suis mort !


Le roi ordonne qu’on arrête le meurtrier. Loin de chercher à fuir, Garcia se présente fièrement ; maintenant que son honneur est vengé, peu lui importe le reste. Autant tout à l’heure son langage était confus et troublé, autant maintenant il parle avec assurance et même avec une sorte d’exaltation intrépide. Il révèle au roi le secret de sa naissance et celle de Blanche ; il lui raconte par quelle odieuse provocation il a été conduit à l’acte de vengeance qu’il vient d’accomplir. « Cet hôte perfide, dit-il, à peine reçu dans ma maison, a osé porter sur Blanche des regards criminels. Le prenant pour vous, sire, par l’effet de je ne sais quel malentendu, j’ai fait céder ma juste colère au devoir d’un sujet loyal : je l’ai respecté. Mais, cette erreur une fois reconnue, l’honneur d’un homme tel que moi demandait impérieusement vengeance. J’ai saisi ce poignard, je lui ai percé le cœur… Vous le voyez mort. Vous m’auriez regardé comme un infâme si, lorsque vous m’aviez demandé de vous faire connaître celui que j’accusais de m’avoir offensé, je vous l’eusse montré respirant encore. Fût-il le fils du soleil, un des grands de l’état, le premier dans votre faveur, le second dans votre royaume, vous savez qui je suis, quel affront j’avais reçu. Voilà le coupable offenseur, voici le bras qui l’a frappé. Que ce bras tombe, s’il le faut, sous la hache du bourreau ; mais, tant que ma tête reposera sur mes épaules, personne après le roi, personne ne m’offensera impunément. » Le roi, pleinement convaincu par cette justification fière et respectueuse, n’a plus pour Garcia que des paroles d’approbation. Il lui confie le commandement de l’expédition projetée contre Algésiras, et le nouveau général part aussitôt pour l’Andalousie.

Certes ce terrible dénouement est préparé avec un art infini. L’horreur même de l’assassinat y disparaît en quelque sorte sous l’intérêt habilement excité en faveur de Garcia. Néanmoins, l’émotion de la scène une fois passée, il ne nous est pas possible de nous écrier avec lui : Voilà ce que c’est que l’honneur ! Pour comprendre cette exclamation accompagnant un coup de poignard donné à un homme qui ne se défend pas, il faut de toute nécessité que, nous dépouillant des idées de notre temps, nous sachions nous pénétrer des impressions, des sentimens auxquels répondait le drame de Rojas.

S’il est un trait de mœurs assez universellement reproduit dans les anciennes comédies espagnoles pour qu’il soit impossible de n’y voir qu’une fiction poétique, c’est la jalousie, moins encore peut-être celle qui tient aux délicatesses du cœur ou à la capricieuse exaltation des sens que la jalousie d’honneur, celle que j’appellerai la jalousie de l’esprit, et qui, fondée sur des devoirs et des convenances plutôt que sur des passions, a le même caractère, se révèle par les mêmes symptômes dans le père, dans le frère, dans le mari, presque dans l’amant. Ce que les mœurs modernes de l’Europe