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racontant l’histoire de lady Buccleugh, séduite et perdue, quelques années auparavant, par le même Bothwell[1]. La magie de Bothwell, ruse et audace, réussit en effet, et, le 15 mai 1567, dans la salle de réception d’Holyrood, sans pompe et sans magnificence, au milieu d’un silence sombre et profond, le mariage fut célébré. Marie portait encore ses habits de veuve, présage dont la menace n’avait pas été vaine une première fois. On trouva placardé sur la porte du château un papier portant ce vers d’Ovide : « Les femmes méchantes se marient au mois de mai, selon le proverbe. »

« Mense malas maïo nubere, vulgus ait. »

Tant de sinistres avertissemens n’avaient pas arrêté Marie dans sa course funeste ; mais une fois Bothwell devenu son mari, elle regarda autour d’elle. On peut juger de la misère de son ame par les rapports de Du Croc, ambassadeur de France, et de Drury, agent de l’Angleterre. Tout est, dans ses actions, trouble, désespoir, violence et inquiétude. On lui apprend que la ligue des seigneurs confédérés contre Bothwell prend de la consistance. « Allons donc ! dit-elle. Athol est faible ; je fermerai la bouche d’Argyle ; Morton vient d’ôter ses bottes ; elles sont encore poudreuses ; je le renverrai d’où il vient. » Elle affecte la joie, se pare de robes de velours, se promène par la ville, et fait célébrer des tournois et des joûtes. Mais quelquefois, au milieu de ces signes extérieurs d’allégresse, ses larmes jaillissent. Bothwell, maître de lui-même, la domine en particulier et lui témoigne en public une déférence excessive. Il ne lui parle que tête nue. Un jour Marie, par un retour de coquetterie folâtre, reprend de ses mains la toque chargée de plumes et la lui enfonce sur la tête. Quand ces deux personnes sont seules et enfermées dans le même appartement, on entend de l’extérieur des cris, des sanglots, et ces paroles de Marie : « Donnez-moi un couteau, que je me tue ! » C’est Melvil, ami de Marie, qui rapporte ces détails[2]. Le jour même du mariage, Du Croc, ambassadeur de France[3], va rendre visite aux époux, et, interrompant une scène domestique de la plus grande violence, trouve Marie baignée de pleurs et Bothwell courroucé. C’étaient les orages inséparables non-seulement d’une telle alliance, mêlée de crime, teinte de sang, pleine de remords, mais du choc inévitable

  1. Drury à Cecil, lettres d’avril 1567.
  2. Mémoires, pag. 127.
  3. Bibliothèque royale, collection de Harlay, 218.