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pouvons ajouter qu’elle a été beaucoup plus populaire et plus répandue que l’œuvre immortelle du poète florentin.

Le roman du Renard et le petit conte d’Élegast et Charlemagne sont, comme poèmes, les deux seules traces de compositions originales que nous connaissions dans l’ancienne littérature hollandaise. Mais si de l’épopée nous passons à la poésie lyrique, voici venir une riche moisson de chants naïfs et touchans, ceux-ci imités de l’Allemagne, ceux-là nés sur le sol même de la Hollande, tous curieux à étudier et tous populaires.

Ces poésies populaires datent déjà du XIIIe siècle ; mais c’est au XVe surtout qu’on les trouve en abondance et avec un caractère marqué. Il en existe plusieurs recueils, et la bibliothèque de La Haye en possède encore un grand nombre manuscrits. Une portion considérable de ces recueils se compose de poésies religieuses très intéressantes à consulter, car elles expriment l’esprit de l’époque et notamment le mysticisme du XIVe et du XVe siècle. On y trouve des idées étranges et un style singulier. C’est l’ame considérée comme jeune fille et qui aspire à Jésus-Christ, son fiancé ; c’est Jésus-Christ qui s’en va le soir de par le monde séduire avec son doux regard les ames vierges, et le poète emploie un incroyable mélange d’expressions et d’images profanes pour peindre l’amour divin. L’ame s’écrie : « Jésus, avec vos yeux noirs, vous me ravissez les sens. Je veux me plaindre à Marie de ce que vous me faites éprouver. » À quoi Jésus répond : « Oui, plaignez-vous à ma mère, et je m’en vengerai. Je vous ferai aimer, et votre cœur se brisera[1]. » Alors l’ame soupire, elle languit comme la tourterelle qui a perdu son époux[2] ; puis elle dit adieu au monde qui l’a trompée, pour se plonger tout entière dans l’amour de Jésus, et elle s’écrie : « Lamour repose, l’amour marche, l’amour chante, l’amour saute, l’amour appelle l’amour, l’amour dort, l’amour veille, l’amour peut tout imaginer[3]. »

Ce qui exprime encore très bien le caractère de l’époque, c’est

  1. Jesus met uwen brunen oghen
    Ghi steelt mi minne sinne
    .

  2. Ic mach der tortel duven wael leken
    Die haren gaden verloren heeft
    .

  3. Die minne staet, die minne gaet,
    Die minne singhet, die minne springhet
    .

    Ces vers sont tirés d’un long poème sur l’amour céleste, composé par une religieuse d’Utrecht, nommée Bertha. (Horæ belgicæ, par Hoffmann de Fallersleben, second volume, pag. 14).