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entier, et lui imposaient une certaine retenue. Dans cette situation, les chefs des tories modérés résolurent de laisser marcher les évènemens, se réservant, selon qu’ils tourneraient bien ou mal, d’approuver ou de blâmer. Abandonnés à eux-mêmes et privés de toute direction, les journaux tories de toute nuance donnèrent alors le spectacle de la plus étrange confusion. De ces journaux, il y en eut deux qui restèrent, l’un, le Morning-Herald, systématiquement contraire, l’autre, le Standard, systématiquement favorable à la politique de lord Palmerston. Quant au Morning-Post, au Courrier, au Times surtout, le plus important d’entre eux, ils ne cessèrent de voyager avec une incroyable rapidité d’un point de vue au point de vue tout opposé. Un jour lord Palmerston avait parfaitement raison, et le traité, en droit comme en fait, était inattaquable. Le lendemain lord Palmerston compromettait la paix du monde pour un intérêt chimérique, et méritait presque d’être mis en accusation. Les vives réclamations de la France passaient aussi tantôt pour justes et raisonnables, tantôt pour insensées et absurdes. Et ce qu’il y a de plus curieux, c’est que l’intermittence n’était pas la même pour tous les journaux tories, l’un démentait d’ordinaire ce que l’autre disait, l’un trouvait bon ce que l’autre trouvait mauvais. À cette époque, je le répète, ballotté entre sa haine pour lord Palmerston et sa malveillance pour la France, le parti tory n’avait point de parti pris et tournait à tous les vents.

Au fond du cœur, les whigs ne devaient pas être moins perplexes que les tories. Le traité du 15 juillet, en effet, leur faisait renier tout leur passé et abjurer tous leurs principes. Ils s’étaient toujours opposés à ce que l’Angleterre intervînt, par la force des armes, dans les affaires intérieures des autres pays, sans un intérêt évident, sans une pressante nécessité, et on les conduisait au feu contre un prétendu sujet rebelle en faveur d’un prétendu souverain légitime qui n’avait pas su lui-même maintenir sa puissance et son autorité. Ils se vantaient, un mois auparavant, d’être les champions les plus déterminés, les gardiens les plus fidèles des alliances constitutionnelles, et on leur faisait tout d’un coup embrasser les alliances absolutistes, et déserter les alliances constitutionnelles. Depuis cinquante ans, enfin, ils s’étaient donnés comme les amis de la France, qui leur en savait gré, et on les priait d’approuver et de sanctionner un tort grave fait à la France, un tort qui devait nécessairement mettre fin pour long-temps à toute amitié entre les deux peuples. Tout cela coûtait aux whigs ; mais dans ce pays de mœurs parlementaires bien établies et de forte discipline, on suit ses chefs, tout en les blâmant.