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seigneurs en deuil, le front baissé, elle-même en deuil, tous gardant un silence profond, refusant de lui adresser d’autres reproches que ce silence menaçant. Calvinistes d’Écosse, anglicans de Londres et des provinces, ne désiraient que vengeance, massacre pour massacre et sang pour sang. Les catholiques des deux royaumes, pleins de joie et d’espoir, prenaient les armes et répétaient le nom de Marie Stuart ; c’était une sainte et une victime. En politique, un personnage qui semble dangereux et qui est faible et qui est haï, n’a pas long-temps à vivre. La première mesure à laquelle pensèrent non-seulement Élisabeth, mais les protestans, Cecil, Leicester, les communes, les pairs, ce fut la mort de la captive, espérance, centre et instrument des mouvemens catholiques. Burghley, ministre d’Élisabeth, demande officiellement aux évêques anglicans si en de telles circonstances la mort de Marie Stuart est légitime. Leur réponse affirmative existe au Musée britannique[1]. À peine la réponse des évêques est-elle rédigée, la chambre des communes rédige la sienne : une pétition, aussi calme par le style que résolue au meurtre, demande la tête de Marie. Cette ardeur à tuer une reine effraie Élisabeth, qui n’aimait pas ces manifestations contre la royauté, et qui savait que, lorsqu’on touche à une couronne, toutes les couronnes tremblent. Elle ordonne le silence ; il lui semble plus convenable et meilleur d’assassiner en secret, par trahison, moyennant un infâme marché, sans montrer la main qui frappe, sans se trahir, sans encourir le blâme du monde et de l’histoire, la déplorable femme qui lui avait demandé protection et asile. Robertson, qui n’a pas connu la correspondance secrète, récemment explorée, entre les divers agens d’Élisabeth, s’est trompé complètement sur les intentions de cette reine et les manœuvres des barons écossais. Il ne s’agissait pas de remettre Marie Stuart entre les mains du régent, mais de la faire égorger par les Écossais dès qu’elle aurait mis le pied en Écosse. Ce fait, aujourd’hui avéré, est un des plus curieux entre tous les crimes dont l’histoire, qui n’est pas pauvre de crimes, s’enrichit à mesure que l’on descend dans ses cavernes.

Un Killigrew, ancêtre de ces Killigrew qui jouèrent ensuite à la cour des Stuarts un rôle si bouffon, reçut d’Élisabeth, de Cecil et de Leicester, seuls complices du meurtre résolu, la confidence de ce projet. Il partit pour l’Écosse avec des instructions détaillées, dont il remplit la teneur avec beaucoup de soin, de zèle et d’activité. Il était question de livrer la captive aux mains de ses ennemis écossais,

  1. Caligula, c. II, fol. 224.