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une manifestation obscure de l’amour, c’est la pure doctrine platonicienne. Pour ce qui regarde l’homme et sa nature psychologique, sauf la liberté de la foi, qu’il emprunte au christianisme, et l’extase qu’il place au-dessus même de la raison, comme tous les mystiques d’Alexandrie, il est de la grande école psychologique française. C’est à la louange de M. Lamennais, pour montrer que son entreprise était humainement possible, et que ses théories ont leurs racines dans l’histoire, que nous faisons ces rapprochemens. Une seule de ses doctrines n’a point de passé et ne date que de lui, c’est la doctrine de la raison commune. On peut lui trouver des analogues depuis Héraclite jusqu’à Oswald et Reid, mais pas d’antécédens véritables. Avant M. Lamennais, ceux même qui demandaient à la raison individuelle le sacrifice absolu de son indépendance reconnaissaient au moins un pouvoir dont ils ne craignaient que l’usage ; mais ce n’est rien de prétendre que la raison humaine est trop sujette à faillir pour qu’on puisse s’en contenter : le scepticisme de M. Lamennais est plus radical, et ce n’est qu’après nous avoir ôté toute chance d’arriver par nous-mêmes à la certitude, qu’il nous propose sa théorie dogmatique de la raison universelle.

Cette grande et éternelle question de la certitude est sans contredit le premier de tous les problèmes philosophiques, c’est-à-dire le premier de tous les problèmes. Lorsque parut, il y a bien des années, l’Essai sur l’indifférence en matière de religion, tel fut sur le public français, aussi indifférent de sa nature à la philosophie qu’à la religion, l’effet de cette verve inépuisable et passionnée, qu’elle intéressa tout le monde à la question du criterium de la connaissance, et rendit en quelque sorte populaire une discussion de pure logique. Les critiques et les réfutations arrivèrent de toutes parts ; elles trouvèrent M. Lamennais tout préparé à leur répondre, et aujourd’hui qu’après un long silence il revient à ses études philosophiques, le premier mot qu’il prononce est pour reprendre son ancien système. Il a entendu les objections, il les a pesées, il les a jugées, et il persiste ; tenacem propositi. Dans sa marche rapide, il ne consacre à sa théorie logique qu’un petit nombre de pages ; mais la raison individuelle y est proscrite avec ce même dédain d’autrefois et systématiquement soumise au joug de la raison générale.

Sans renouveler toute cette dispute, où chaque parti n’aurait eu qu’à répéter d’anciens argumens, on aurait pu donner quelques éclaircissemens sur deux ou trois points contestés. La théorie de M. Lamennais, faute de ces développemens nécessaires, pourra paraître