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ESQUISSE D’UNE PHILOSOPHIE.

cussion ; qu’on ne peut abdiquer ce droit qu’au profit du scepticisme ; qu’y renoncer pour reconnaître une autorité étrangère, c’est faire un paralogisme évident, puisqu’en prononçant sa propre faillibilité, la raison infirme jusqu’au jugement par lequel elle se soumet. La raison de chacun reste donc juge en dernier ressort ; et quelque détour que l’on prenne, elle est la source première de toute certitude et de toute philosophie.

M. Lamennais méprise beaucoup les psychologues ; et telle est à cet égard la force de ses convictions, qu’il oublie, quand il parle de la psychologie et de ceux qui la cultivent, cette réserve et cette gravité qui donne partout ailleurs un si beau caractère au style de l’Esquisse, et qui sied si bien à un esprit sage et élevé. S’il avait un peu moins dédaigné cette science, que d’autres grands esprits ont mieux appréciée, depuis Socrate, Platon et Aristote, jusqu’à Descartes, Locke et Kant (je ne veux pas citer de contemporains), M. Lamennais aurait mieux connu peut-être les conditions de la connaissance humaine ; il n’aurait pas tenté l’impossible, et au lieu d’effleurer la psychologie pour étayer son scepticisme, il l’aurait étudiée pour l’approfondir.

Lorsqu’il sort de la théorie de la méthode, pour en commencer l’application, M. Lamennais relègue l’étude de l’homme après celle de Dieu, et s’applaudit d’éviter ainsi l’erreur des psychologues qui étudient la conséquence avant de connaître le principe. Dieu est le principe de l’homme, qui en doute ? mais les facultés de l’homme sont pour nous le principe de toute connaissance, de la connaissance de Dieu comme de celle de tout le reste. M. Lamennais croit qu’il faut étudier Dieu d’abord pour connaître ensuite ses œuvres, comme si Dieu était plus à notre portée que le monde et que nous-mêmes. La connaissance du monde sans celle de Dieu est incomplète et stérile, voilà la vérité ; mais si on ne veut réaliser la fable d’Ésope, des enfans qui bâtissent en l’air un palais, il faut se résigner à l’humble condition de notre nature, et fonder la science entière sur l’observation lente et circonspecte des faits. « Me voici sur le haut de la montagne, dit un illustre défenseur de la méthode psychologique, à qui on nous permettra d’emprunter une vive et heureuse image ; mais je viens du fond d’une vallée obscure, et je puis encore apercevoir et montrer aux autres le sentier qui m’a conduit jusqu’où je suis parvenu, pour les aider et les encourager à s’y élever comme moi, au lieu de leur laisser croire et de me persuader à moi-même que je suis tombé là du haut des cieux. »