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à l’instant une voie d’eau s’ouvre au flanc du pays. Là les hommes sont sans cesse à la pompe et ne se croient en sûreté que quand ils sentent la puanteur. Ils vivent comme s’ils avaient échoué, et lorsqu’ils meurent, ils sont jetés par-dessus le bord et noyés. Entassés dans leurs navires comme des troupeaux de rats, ils se repaissent de toutes les productions étrangères. Quand leurs marchands font banqueroute, leurs villes font naufrage et périssent. Poissons cannibales, ils mangent d’autres poissons et servent sur leurs tables leurs cousins-germains. Toute cette terre enfin est comme un navire qui a jeté l’ancre et qui s’est amarré. Tant qu’on y vit, on est à bord. »

Voilà ce qu’écrivent dans leur humour les Anglais. Quant aux Allemands, ils ont, au dire des Hollandais, plus mal jugé ce pays que qui que ce soit au monde. Cette opinion injuste que les étrangers emportent de la Hollande tient en grande partie, je le répète, à la rapidité avec laquelle on la visite ordinairement ; car cette contrée n’est point de celles qui, au premier abord, séduisent l’esprit du voyageur. Pour la connaître et l’apprécier, il faut y mettre de l’attention, il faut l’observer sous ses différens aspects, comme ces fleurs modestes dont on ne découvre les nuances délicates et un peu voilée qu’en écartant l’une après l’autre leurs feuilles à peine entr’ouvertes. Pour moi, j’avoue qu’en posant le pied sur le sol hollandais, au retour d’un voyage dans le Nord, et l’esprit encore tout préoccupé de ses grands paysages, j’éprouvai je ne sais quelle espèce de surprise pénible qui ressemblait à un désenchantement. — Adieu donc, me disais-je, les hautes montagnes de Norvége avec leur couronne de sapins et leur ceinture de nuages. Adieu les lacs limpides de Suède où l’azur du ciel se reflète comme dans un miroir, les vallées mystérieuses protégées par Hulda, divinité de la solitude, et les cascades où le Strœmkarl fait résonner les cordes harmonieuses de sa harpe d’argent. — Debout sur le pont du bateau, je contemple le paysage nouveau qui se déroule à mes regards, et je ne vois qu’une longue plaine d’une teinte uniforme, le fleuve jaune qui fuit dans le lointain, et le ciel chargé de brumes. Çà et là quelques moulins à vent tournent péniblement leurs longs bras au souffle léger qui les fait mouvoir. Une petite maison en briques, lavée et nettoyée comme pour un jour de fête, s’élève au bord d’un étang, entre une charmille taillée en éventail et un if qui a la forme d’un pain de sucre. Une barque glisse sur un canal, un pêcheur s’en revient à pas lents vers sa cabane, portant ses filets sur son épaule. À l’horizon, on aperçoit une pointe de clocher qui surgit au milieu d’un massif d’arbres, et point de colline, point