Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/61

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
57
LA HOLLANDE.

de sentier escarpé, partout la même plaine verte et humide, partout l’eau, l’eau qui divise les propriétés, l’eau qui croupit au pied des habitations, l’eau qui s’écoule d’un sol marécageux dans les canaux. Vous poursuivez votre route au milieu de ce pays si riche et si peuplé, vous vous attendez peut-être à être bientôt étourdi par les rumeurs d’une foule marchande et industrieuse et vous ne trouvez qu’un grand silence. Ici les affaires ne se font point avec bruit comme dans les autres pays. L’ouvrier s’en va à pas comptés à son travail ; le négociant prend gravement le chemin de la Bourse. Les oisifs s’asseient dans les cabarets sans chanter et sans crier. Le Hollandais, pour qui l’économie est une des vertus essentielles de ce monde, est économe de ses gestes, de ses paroles, comme de son argent. Tout est ici prévu, mesuré et soumis à une impulsion régulière. Tout se meut comme par les rouages d’une machine en bon état. Il y a du silence jusque dans l’activité et dans le mouvement. Les bateaux chargés de marchandises suivent mollement les sinuosités du canal ; les bateliers, assis au gouvernail, se laissent ainsi porter vers les vastes entrepôts de Rotterdam ou d’Amsterdam, en fumant leur pipe. Les enfans, qui reviennent de l’école, leur bible sous le bras, ont déjà un petit air grave et doctoral qui doit donner beaucoup de satisfaction à leurs parens, et les animaux même, les chevaux au large poitrail, et les vaches aux lourdes mamelles, posent nonchalamment leur tête sur un tronc de saule, et semblent réfléchir.

Vous entrez dans une ville, et vous ne voyez point de curieux dans les rues, point de gens affairés qui courent çà et là et se heurtent sur les trottoirs, point de fenêtres qui s’ouvrent à l’arrivée de la diligence. La plupart des maisons sont gardées par une chaîne en fer qui s’étend tout le long de la façade et arrête les passans à trois pieds de distance. Les portes, vernies et ornées d’un magnifique marteau en cuivre, sont hermétiquement fermées, et les fenêtres voilées à l’intérieur par une pièce de toile blanche qui en occupe toute la largeur. On dirait des demeures désertes ou habitées par des hommes plongés dans un sommeil fabuleux, comme les personnages de certains contes de fée. Seulement, de temps à autre, une main légère soulève le mystérieux rouleau de toile, une tête blonde se montre derrière les vitres transparentes, une femme jette un regard furtif sur le petit miroir (l’espion, comme on l’appelle) placé en dehors de la fenêtre pour refléter ce qui se passe dans la rue, puis le rideau s’abaisse de nouveau, et la jolie curieuse disparaît.

Certes tout cela n’est pas très récréatif, et quand on pense que le