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RÉVOLUTIONNAIRES ANGLAIS.

bientôt le calme et nous rendre propres à en jouir ! Nous sommes tous les deux placés sur un théâtre, mon ami. Il faut que nous jouions les rôles qui nous sont assignés dans cette tragédie ; faisons-le en gens d’honneur et sans animosité personnelle. »

Les grandes actions de la révolution française n’ont pas ce caractère pour ainsi dire réglé. La présence de nos ennemis, la pénurie du trésor, l’ignorance de la liberté, leur donnent un caractère désespéré et sanglant, qui fait reculer d’effroi le lecteur, mais qui ne doit pas épouvanter le philosophe, et dont il doit à la fois tenir compte et apprécier les motifs.

Toute la première partie de la vie de Danton est rejetée sur le second plan par un homme plus bruyant, plus énergique et plus lettré que lui. L’ombre de Mirabeau tombe sur Danton et le cache. Jusqu’au moment où le premier symbole de la révolution disparaît, Danton n’est que le soufflet patient et énergique de la forge révolutionnaire. Il sait, comme Pym, se soumettre quand il le faut, et discipliner son ambition ou sa colère. Il n’est rien, au commencement de la révolution, que besoigneux et ardent. Il lui faut un piédestal ; il le crée en inventant le club des cordeliers, force qu’il s’attribue, et dont il dispose contre la convention d’une part et contre les girondins de l’autre.

Une fois maître de sa position, il fait le 10 août, et devient ministre de la justice. Les ennemis s’avancent ; Brunswick est aux portes de Paris : de la peur même il fait une arme. Il est certain que cette terrible machine a sauvé le territoire ; il est également certain que Danton l’a mise en mouvement sans colère, sans fureur, sans goût pour le sang, comme Pym tua son ami et prépara l’échafaud de Charles Ier. Roi de la commune improvisée, c’est alors que Danton devine la France, la France désarmée, déshabituée des armes et environnée d’ennemis. Il lui donne du courage, ne fût-ce que celui de la peur. Moment curieux que celui où, les sourcils froncés sur ses yeux sombres, et apparaissant comme un colosse à la tribune de l’assemblée, il s’écria d’une voix tonnante : « Législateurs ! ce que vous entendez, ce n’est pas le canon d’alarme, c’est le pas de charge contre l’ennemi. De l’audace ! de l’audace ! et toujours de l’audace ! » Il connaît bien la race gauloise et sait en user, non pour lui-même, non pour ses plaisirs ou ses vengeances, mais pour cette cause nouvelle qu’il a adoptée et embrassée, et qui seule est présente à son esprit, pendant que le canon gronde, que les Tuileries sont en flammes, et que les sabres de septembre font leur œuvre abominable. Il règne cependant, et son dessein est accompli.