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LA HOLLANDE.

et j’avoue que, depuis le jour où j’ai posé le pied sur le sol néerlandais jusqu’à celui où je suis rentré en France, j’ai vu souvent la brume pluvieuse et très peu le soleil.

Dans les diverses provinces que j’ai parcourues, on ne trouve plus qu’en bien peu d’endroits ces avenues de charmilles, avec leur forme symétrique et leurs branches tordues, taillées, contournées de manière à représenter une bergère de Théocrite, un dieu de la fable, ou un grave bourgmestre. Les Hollandais s’en moquaient eux-mêmes dès le siècle dernier, comme on peut le voir par un roman de mœurs, l’Histoire de Willem Leevend, qui eut un grand succès. Depuis une trentaine d’années, les jardins de Hollande ont subi une grande transformation. Les petits abbés en terre cuite, les belles dames à falbalas et à paniers qui ornaient les avenues, et qui, du bout de leurs doigts mignards, présentaient des fleurs aux passans, ont été arrachés de leurs siéges de pierre et relégués dans la basse-cour ou dans le grenier. Pendant que nos grands mots de liberté et d’égalité retentissaient dans le monde entier, que les peuples et les rois s’ébranlaient au mouvement de notre révolution, les arbres du potager hollandais ont profité de l’émancipation du genre humain. Long-temps comprimés dans de rudes entraves, élagués et taillés à chaque instant par l’active serpette du jardinier, un beau jour ils ont été délivrés de la surveillance du maître, occupé alors de soins plus graves, et ont pris la liberté de grandir et de se développer selon les simples lois de la nature. Puis est venue la guerre, l’impitoyable guerre, qui s’est emparée des naïades en bronze assises au bord des jets d’eau et des tritons boursouflés pour en faire des balles et des baguettes de fusils, puis l’industrie, qui a transformé en un champ de navets les larges avenues et les allées inutiles.

L’intérieur des maisons de campagne a été aussi modifié selon notre goût actuel. Les festons de fleurs ont fait place à la légère ciselure. Les meubles sont devenus à la fois plus simples et plus confortables. Cependant la Hollande conserve toujours un genre de luxe qu’on ne retrouve nulle part au même degré ; ce sont les riches tapis, les laques et les vases de la Chine, les fines tasses en porcelaine que la maîtresse de maison lave et essuie elle-même dès qu’on s’en est servi, de peur que la main maladroite d’une servante ne vienne à les briser. La maison de campagne est la joie, l’orgueil du négociant hollandais. Il aime à la placer au bord des routes fréquentées, à la montrer coquette et reluisante de propreté au milieu d’une belle pelouse verte. Il ne l’entoure pas d’une barrière jalouse