Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/770

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
762
REVUE DES DEUX MONDES.

liberté inquiétante ! Pendant toute la durée de la restauration, on s’était imaginé que, le jour où la Charte serait prise au sérieux, tout irait de soi-même. Ce jour est venu, et l’espérance ne s’est pas réalisée. On a vu naître et toujours renaître mille difficultés dont on ne se doutait pas : la plus grande était la liberté même. Aussi est-elle devenue suspecte à quelques-uns. Ce qui ne leur avait paru, sous la restauration, que moyen d’opposition légitime et nécessaire, n’a plus été que complication dommageable sous un gouvernement de leur goût. Ils l’ont vu sans cesse contrarié, gêné, exposé, par les garanties même réclamées par eux contre d’autres pouvoirs. Ils ont alors reculé devant leur ouvrage. Ils s’irritent contre ce qu’ils ont créé et redoutent pour l’autorité les entraves qu’ils lui ont données. La publicité les force à entendre des choses dont leur probité rougit ou dont s’indigne leur raison ; ils prennent en haine la publicité. Parce qu’il y a des factions dissidentes, toutes les dissidences sont bien près de leur paraître factieuses ; parce qu’on prêche des théories insensées, l’extravagance devient pour eux le cachet de toutes les théories ; parce qu’il se donne beaucoup de mauvais conseils, ils trouvent mauvais tous les conseils qui les troublent. Enfin, le pouvoir et la société, étant sans cesse menacés, leur semblent sans cesse en péril. Ils voudraient, mais ils n’osent croire à la stabilité d’aucune chose. Ainsi le zèle et le dévouement peuvent quelquefois s’entendre avec l’aveugle inimitié, et encourager l’audace des factions pour l’avoir trop redoutée.

Il y eut un temps où l’on ne pouvait trop s’inquiéter de l’avenir. À la naissance de ce gouvernement, une seule question se posait : Pouvait-il vivre ? C’est alors qu’il fallait tout sacrifier à la solution de cette question formidable, que tous les efforts ne devaient avoir qu’un but, la formation du parti gouvernemental. Ce n’était pas une œuvre simple ni facile ; ceux qui s’y montrent les plus ardens n’étaient pas ceux qui hésitaient le moins. Au milieu de l’inexpérience universelle, hésiter était permis, se méprendre était naturel. Nous venions tous de l’opposition ; nous ne savions que nous opposer. Le gouvernement sortait d’une révolution ; il pouvait rester la révolution perpétuelle. Son origine pouvait décider de sa destinée, et des esprits éclairés lui présageaient une vie aussi orageuse que sa naissance.

La révolution de juillet est un de ces évènemens rares qui réunissent le droit, la force, la passion. Le droit en fut le principe et le sceau ; la passion populaire mit au service du droit l’instrument de la force, et la fortune couronna cette œuvre de la force, de la passion, de la justice. Elle donna la victoire, et ne la vendit pas. Jamais triom-