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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

que, à l’époque des exécutions de Maroto, l’état de siége durait encore.

Rien de plus étrange que l’espèce de mystère que les Majorquins semblaient vouloir se faire les uns aux autres des évènemens qui bouleversaient alors la face de l’Espagne. Personne n’en parlait, si ce n’est en famille et à voix basse. Dans un pays où il n’y a vraiment ni méchanceté, ni tyrannie, il est inconcevable de voir régner une méfiance aussi ombrageuse. Je n’ai rien vu de si plaisant que les articles du journal de Palma, et j’ai toujours regretté de n’en avoir pas emporté quelques numéros pour échantillons de la polémique majorquine. Mais voici, sans exagération, la forme dans laquelle, après avoir rendu compte des faits, on en commentait le sens et l’authenticité : « Quelque prouvés que puissent paraître ces évènemens aux yeux des personnes disposées à les accueillir, nous ne saurions trop recommander à nos lecteurs d’en attendre la suite avant de les juger. Les réflexions qui se présentent à l’esprit en présence de pareils faits demandent à être mûries, dans l’attente d’une certitude que nous ne voulons pas révoquer en doute, mais que nous ne prendrons pas sur nous de hâter par d’imprudentes assertions. Les destinées de l’Espagne sont enveloppées d’un voile qui ne tardera pas à être soulevé, mais auquel nul ne doit porter avant le temps une main imprudente. Nous nous abstiendrons jusque-là d’émettre notre opinion, et nous conseillerons à tous les esprits sages de ne point se prononcer sur les actes des divers partis, avant d’avoir vu la situation se dessiner plus nettement, etc. »

La prudence et la réserve sont, de l’aveu même des Majorquins, la tendance dominante de leur caractère. Les paysans ne vous rencontrent jamais dans la campagne sans échanger avec vous un salut ; mais, si vous leur adressez une parole de plus sans être connu d’eux, ils se gardent bien de vous répondre, quand même vous parleriez leur patois. Il suffit que vous ayez un air étranger pour qu’ils vous craignent et se détournent du chemin pour vous éviter.

Nous eussions pu vivre cependant en bonne intelligence avec ces braves gens, si nous eussions fait acte de présence à leur église. Ils ne nous eussent pas moins rançonnés en toute occasion ; mais nous eussions pu nous promener au milieu de leurs champs sans risquer d’être atteints de quelque pierre à la tête, au détour d’un buisson. Malheureusement cet acte de prudence ne nous vint pas à l’esprit dans les commencemens, et nous restâmes presque jusqu’à la fin sans savoir combien notre manière d’être les scandalisait. Ils