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maternelles. Aujourd’hui, la rosace n’a pas tant de pouvoir, mais elle révèle encore au passant l’évènement qui occupe toute une famille, et l’invite à ne pas troubler, par un vain bruit, la demeure d’une femme qui a besoin de repos. Dans cette même ville, à un certain jour de l’année, les habitans ont coutume de manger un lapin et des pois, en mémoire d’une journée consacrée par les priviléges du moyen-âge, où les bourgeois avaient le droit de chasser, vingt-quatre heures durant, sur les terres de leurs seigneurs. À Leyde, au temps où cette ville s’enrichissait chaque jour par le produit de ses manufactures, il y avait un marché aux cuirs, célèbre dans toute la Hollande et dans plusieurs autres contrées ; chaque matin, à quatre heures, la cloche de l’église appelait les bourgeois à ce marché. Maintenant, les manufactures de Leyde ont été écrasées par celles d’Angleterre et de Belgique, la ville se dépeuple, le marché aux cuirs n’existe plus ; mais chaque jour, la cloche qui l’annonçait sonne comme autrefois, à quatre heures du matin, et chaque année, dans la même ville, on célèbre l’anniversaire de cette journée mémorable où les Espagnols, qui assiégeaient les remparts, s’enfuirent en désordre. Il en est de même dans les autres provinces pour tout évènement heureux ; partout les Hollandais veulent conserver le souvenir de ce qui a jadis occupé ou ému leurs pères, et de ce qui a fait la joie, la gloire, la prospérité de leur pays.

Qu’importe donc la singularité de certaines habitudes, et la raideur peut-être trop apparente de certaines formes dans un pays où l’on trouve tant de vertus essentielles : le sentiment religieux, l’amour de la famille, la probité dans les relations, l’ordre et la persévérance ? Les Hollandais n’ont jamais eu, que je sache, la prétention de passer pour un peuple brillant et chevaleresque. Ils ont été puissans sans forfanterie, et quand nous en viendrons à raconter leurs premières expéditions maritimes, nous verrons qu’ils ont eu quelquefois, avec la plus parfaite simplicité du monde, un héroïque courage. Ne nous obstinons donc pas à chercher en eux les qualités qui ne sont pas dans leur nature, et sachons apprécier celles qu’ils ont de temps immémorial. C’est un peuple pratique et raisonnable, deux qualités qui ont bien quelque valeur au temps où nous vivons. C’est, si l’on veut, une grande maison de commerce, intelligente, laborieuse, loyale, qui maîtrise la fortune par son travail ; l’assujétit par sa ténacité, et peut inscrire en tête de ses monumens cette devise du passé :

Concordia res parvae crescunt.


X. Marmier.