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Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/920

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REVUE DES DEUX MONDES.

toujours, comme si le chemin que nous suivions eût abouti aux antipodes, quand tout à coup un cri rauque retentit à quelques pas de nous ; au même instant nous vîmes briller à la lueur des torches plusieurs canons de fusils. — Je l’avais bien prévu, me dit mon compagnon, les bandits nous attendaient là ; nous sommes pris. — En effet, plusieurs hommes coiffés de chapeaux pointus et galonnés, et armés de bâtons et de fusils, nous entourèrent. La rencontre nous paraissait d’autant plus fâcheuse, que nos guides semblaient d’accord avec ces inconnus, et fraternisaient avec eux. Nous nous mettions bravement en devoir de vider nos poches, ne demandant que la vie sauve, quand un de nos guides, qui avait sans doute deviné nos craintes, nous arrêtant et partant d’un long éclat de rire : — Qu’allez-vous faire ? nous dit-il, ne voyez-vous pas que ces braves gens sont des gardes du quieto vivere, les gendarmes du pays ? Ils sont à la poursuite de deux colporteurs trévisans qui ont volé un boutiquier d’Asiago, et ils nous demandent si nous ne les avons pas rencontrés en chemin. — Nous avions besoin d’être rassurés par ces explications, car les gendarmes d’Asiago avaient des mines vraiment patibulaires ; l’un d’eux surtout, à la longue barbe grise, eût parfaitement figuré, la corde au cou, dans quelqu’un de ces drames qui se jouent sur la place des Herbes à Vérone, ou à Venise, entre les deux colonnes. Les apparences toutefois étaient trompeuses ; nous avions eu tort de juger ces gens-là sur leurs physionomies.

Les gardes du quieto vivere, ayant appris de la bouche de nos guides que le chemin était fermé par la crue du torrent, prirent le parti de retourner sur leurs pas et de revenir à Asiago, en suivant comme nous les défilés du Busso. Peu après cette rencontre, nous arrivâmes à l’extrémité de la dernière galerie souterraine, et nous nous trouvâmes au fond d’un ravin perdu entre d’immenses murailles de rocher. Par momens, quand notre attention n’était plus absorbée par les dangers de la route, nous examinions curieusement, et avec toute la discrétion possible, nos nouveaux compagnons. L’un d’eux, l’homme à la longue barbe, rencontra un des regards que je jetais sur lui à la dérobée, et prenant sans façon la parole : — Notre uniforme est sans doute moins brillant que celui des soldats de votre pays, me dit-il en très bon français ; que penserait-on à Paris d’un colonel de gendarmerie qui n’aurait pour tout insigne de son grade que ce ceinturon, cette cocarde et ce bout de galon ? ajouta-t-il en me montrant son ceinturon et son chapeau. — Vous êtes colonel de gendarmerie ? s’écria mon ami en ouvrant de grands yeux. — Si,