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Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/921

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LES SETTE COMMUNI.

signore ; bien plus, je suis le commandant-général de toute la force armée du pays, c’est-à-dire d’un fort joli peloton de fantassins, sans compter les volontaires. — Je vous en fais mon compliment, commandant ; mais auriez-vous servi en France ? Vous parlez fort bien français. — Je n’ai pas servi en France, répondit le montagnard avec un long soupir, et cependant j’ai eu autrefois un grade dans l’armée française ; je faisais partie des régimens cantonnés dans les Sept-Îles ; en 1812 j’étais sergent-major, et j’allais être nommé sous-lieutenant, lorsque la débâcle est arrivée. Après bien des aventures, je suis revenu dans mon pays, où, comme vous le voyez, j’ai fait un joli chemin, puisque me voilà colonel, général, ou tout ce que vous voudrez. — En effet, commandant, s’il est vrai qu’il vaille mieux être le premier dans Rimini que le second dans Rome, vous n’avez plus rien à désirer. — J’aurais pu cependant être mieux que cela, reprit tristement Leonardo (c’était le nom du vieux soldat) ; que sais-je ? chef de bataillon, si les choses avaient autrement tourné. Au reste, j’étais né pour la gloire et les brillantes aventures, ajouta-t-il avec une sorte d’emphase ironique. Si vous en doutez, écoutez mon histoire.

Je n’avais garde de refuser mon attention à une confidence qui s’annonçait si bien, et je laissai parler le commandant tant qu’il lui plut. Comme néanmoins je ne veux pas fatiguer le lecteur, je me contenterai de lui donner le résumé de ses aventures.

À dix-huit ans, le commandant Leonardo était l’un des plus vifs et des plus hardis montagnards du canton d’Asiago. Nul n’envoyait mieux une balle au but marqué, ne franchissait plus lestement un torrent en sautant d’un roc à l’autre ; nul ne savait plus de joyeuses chansons. On le trouvait seulement un peu batailleur. Un jour, dans une de ses promenades à Bassano, il se prit de querelle avec un aubergiste, et, joignant le geste à la parole, lui appliqua un si terrible coup de poing, qu’il lui fit sortir l’œil de la tête. La populace se déclara pour l’aubergiste, habitant de la vallée, contre le montagnard. La garde esclavonne arriva ; Leonardo, réduit à l’alternative de se faire soldat ou d’aller pourrir dans les cachots de Vicence, eut bientôt fait son choix : il s’enrôla. Les Français venaient d’envahir les états de Venise ; le régiment de Leonardo fut envoyé dans le Vicentin. Lors des Pâques de Vérone, il faisait tête à Kilmaine au combat de la Croce-Bianca. La leçon, comme on sait, fut rude ; les régimens esclavons furent détruits. Leonardo, pour sa part, reçut une balle qui lui cassa la clavicule gauche en entrant et l’omoplate droite en sortant. Un autre, satisfait de cette campagne, aurait renoncé au