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VINETTI.

m’invitant à les unir ensemble, là même, en plein vent, au milieu de la nuit, sous la voûte libre du ciel.

Tous les deux s’étaient agenouillés devant moi, la bande de Bohêmes formait autour de nous un cercle immense, et c’était un silence si profond, qu’on entendait frissonner un brin d’herbe. Je joignis les mains et priai à voix haute le Seigneur miséricordieux, l’appelant pour témoin à cette scène auguste. Puis, après avoir pris les mains des jeunes gens agenouillés, je les unis, disant : Soyez l’homme et la femme ; aimez-vous mutuellement, n’ayez à vous deux qu’un esprit et qu’une ame pour les douleurs et les joies de ce monde. Ce que Dieu lie ici-bas, l’homme ne saurait le délier ; qu’un bon ange vous garde de péchés et de vices, qu’il protége votre entrée et votre sortie, et que sa paix soit avec vous.

Je ne pus résister plus long-temps à mon émotion, les larmes étouffaient ma parole ; le cœur saignant, je me détournai du nouveau couple et m’enfonçai dans le bois pour regagner le chemin du village. Comme j’allais sortir du fourré, je me sentis saisir par l’épaule, c’était Seph qui venait me faire ses derniers adieux ; il resta un instant dans mes bras, me serrant avec effusion, puis, sans dire un seul mot, il s’éloigna comme il était venu. Je rentrai à la maison, triste, le cœur aussi pénétré de douleur et d’affliction que si j’eusse vu mourir mon fils unique. Je connus alors pour la première fois combien j’avais aimé cet enfant.

Le lendemain matin, j’entendis dans le village un grand bruit de hurras et de fanfares ; je courus sur la porte, c’était la bande entière des Bohêmes qui défilait avec toute sorte de musiques et d’évolutions extravagantes. Ils dansaient, ils chantaient, ils bondissaient, agitant dans l’air des tambours basques, des chapeaux chinois, des cymbales, et tout un attirail d’instrumens de cuivre, dont l’harmonie asiatique faisait hurler les chiens du voisinage. Race de saltimbanques et de jongleurs, la plupart d’entre eux étaient vêtus de haillons fastueux, et secouaient des branches vertes d’un air de triomphe. On eût dit une mascarade. En tête du cortége s’avançait Seph, un bonnet de laine rouge sur l’oreille, la poitrine serrée dans un justaucorps de velours bleu chamarré d’argent, les pieds dans des bottines de maroquin à longs éperons d’acier ; il montait un magnifique cheval blanc harnaché de clochettes sonnantes, couvert d’une large housse bariolée, et il avait fait asseoir devant lui sa jeune épouse, qu’un burnous bleu de ciel enveloppait.

Je ne donnai qu’un regard à ce spectacle. Cette misère joyeuse me