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Après le ciel vient l’enfer ; c’est dans cette partie du poème que se trouvent les morceaux les mieux réussis, à notre sens, de l’épopée de M. Alexandre Soumet. Selon lui, l’enfer est composé de quatre élémens qui sont la haine, la colère, l’orgueil et la mort. Comme Dante, dont il a bien fait de suivre l’exemple en cela, il divise le royaume funèbre, tout infini qu’il soit, en neuf parts ou cercles. Sans les parcourir les uns après les autres, le poète se contente d’esquisser treize tableaux ou visions, où sont décrits les supplices des principaux damnés ; quelques-uns de ces tableaux sont d’une invention vraiment infernale et d’une exécution vigoureuse, quoique déparés çà et là par l’afféterie et la fausse élégance, défauts passés à l’état chronique chez M. Alexandre Soumet. Parmi ces damnés figure Byron, ce qui ne paraît pas charitable de la part d’un poète ; les gorgones, les chimères monstrueuses, les méduses au regard pétrifiant, les sphinx à l’œil oblique et cruel, toutes les formes repoussantes et hideuses que l’idée du mal a produites en s’accouplant à la perversité humaine, car Dieu ne peut créer que le beau, grouillent, rampent, sautent et fourmillent dans la brume enflammée qui monte incessamment des lacs de bitume et de soufre en fusion. Mais le poète ne s’arrête pas long-temps aux bagatelles de la porte, et va tout droit au trône où siége Idaméel, l’amant de Sémida : seul entre tous les maudits, il a gardé la beauté, beauté pâle et terrible, plus effrayante peut-être que la laideur. Idaméel, qui a vainement tenté de reculer la fin du monde en tâchant de séduire Sémida, la vierge féconde, la dernière Ève, et de faire ainsi dévier la volonté de Dieu, s’est proclamé roi de l’abîme et n’a eu besoin que d’un geste pour détrôner Satan, qui languit captif dans un coin obscur de l’enfer. Le nouveau monarque a refait le code des tortures avec une supériorité toute romantique ; les vieux supplices ne sont que des délassemens en comparaison ; il sait à fond ce que peuvent produire d’angoisses le plomb fondu, le fer, la flamme, le poison, la glace, le cauchemar ; il trouve pour chacun un tourment spécial, mais il cache à tous le sien, qu’il n’a pas inventé. Bien qu’il souffre une punition égale à son orgueil, aucun signe ne trahit sa douleur, son masque garde une majestueuse immobilité, et les damnés qui l’épient n’ont pas la satisfaction d’y voir passer l’ombre d’une souffrance. Cependant le cœur d’Idaméel est en proie aux agitations les plus tempestueuses ; des ouragans de blasphèmes, des trombes de désirs furieux labourent ce noir océan sans fond et sans rivage.

La pensée de Sémida l’agite et le torture ; il voudrait s’élancer jus-