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LE SALON.

activité au hasard. Il devient peu à peu muet, parce que les générations deviennent sourdes et indifférentes. Dès-lors il se retire par degrés de la scène publique et tend de plus en plus à s’isoler. Ne pouvant plus s’adresser à tous, il ne s’adresse qu’à quelques-uns. Incapable désormais d’enseigner, de moraliser, de prêcher les masses, il se résigne à amuser certaines classes d’élite. Ce n’est plus une branche du sacerdoce, un élément de la vie commune, mais un noble divertissement, un simple raffinement moral destiné aux plaisirs intellectuels de quelques esprits choisis et exercés. Il se cache d’abord dans les palais des grands, où il n’est guère qu’un fastueux mobilier ; puis des palais des grands, il vient enfin se réfugier dans les musées, derniers asiles bâtis tout exprès pour lui, pour abriter sa languissante existence. Réduit à cet état, l’art touche de près, sous le rapport matériel, ces industries dites de luxe qui, ne pouvant se soutenir par elles-mêmes, ont besoin des secours de l’état car, dans cette phase de son existence, il n’y a déjà plus de Mécènes. Il a besoin alors d’être protégé, encouragé, et par suite administré. Aussi le voit-on, à la lettre, figurer au nombre des services publics, et, à ce titre, il a un budget, des bureaux et le reste.

Telle est la situation où nous voyons aujourd’hui l’art dans tous les pays de l’Europe, sauf peut-être l’Italie, où il s’est maintenu, quoique à un degré excessivement affaibli, dans ses anciennes habitudes. Mais nulle part ce système ne s’est développé sur une aussi grande échelle qu’en France. On en trouve aisément la cause dans la centralisation de la capitale, où tout se rend et d’où tout part, dans les habitudes imprimées par les règnes fastueux et absolus de Louis XIV et de Napoléon, qui ont fortement concentré l’autorité administrative et accoutumé la nation à laisser au gouvernement le soin de ses affaires et même de ses plaisirs, enfin surtout dans l’influence de l’esprit français qui aime le mouvement et l’éclat extérieurs, et qui, depuis le grand siècle, s’est habitué à considérer l’empire des arts comme une branche de l’empire des lettres et peut-être celui des modes.

C’est donc l’état qui fait aujourd’hui les frais de l’art ; car qui, sinon lui, pourrait ou voudrait acheter des œuvres qui dépassent les besoins d’un guéridon ou d’une cheminée ? Les banquiers ne sauraient, sous ce rapport, remplacer les grands seigneurs. Toute la production est exclusivement concentrée à Paris. La province ne sait rien de l’art ; elle n’en a jamais même entendu parler, et, sauf quelques peintres de portraits nomades, la profession d’artiste y est