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impossible. Les départemens reçoivent de Paris tout ce qu’ils possèdent, et le déposent silencieusement, et sans y regarder, dans leurs petits musées, faits à l’imitation des grands musés de Paris. C’est en effet dans ces galeries, au nombre d’une quinzaine, que vont honorablement s’ensevelir la plupart des ouvrages achetés par la liste civile ou par les ministères. D’autres vont, dans quelques églises de chefs-lieux, témoigner de la haute influence et du zèle du député de l’endroit.

Mais, pour acheter ces produits de l’art, il faut les connaître et les voir ; pour activer la production même, il faut stimuler l’émulation des artistes et leur présenter l’attrait des applaudissemens, de la gloire, ou du bruit, qui y ressemble tant ; de là l’institution des expositions publiques, des salons. Les salons ne sont donc pas un usage arbitraire et fortuit d’un temps et d’une nation, mais des résultats nécessaires du rôle de l’art dans la société. Les salons sont des musées temporaires destinés à approvisionner les musées permanens, et les musées permanens sont des magasins d’objets d’art rassemblés de tous côtés, sans autre but que de les préserver de la destruction, et où quelques esprits cultivés vont faire des études d’esthétique et d’archéologie. Les salons ressemblent un peu aussi, économiquement parlant, à des bazars ou à des foires. Ils sont surtout une scène où l’art vient donner preuve d’existence et se faire voir. Le salon enfin est la chose et le mot le plus forts de ce temps-ci, la publicité.

Si tel est le caractère de nos expositions, il ne faut pas trop nous vanter de ces deux à trois mille morceaux envoyés tous les ans à la masse commune. Comme quantité même, cette production n’a rien qui doive surprendre, si l’on réfléchit qu’elle représente à peu près tout le travail annuel d’une grande nation, et qu’en outre la moitié et plus de ces ouvrages éphémères sont matériellement et esthétiquement de très peu d’importance. Il ne faut pas oublier surtout que tout cela s’est fait dans cette grande manufacture de Paris, par un travail hâtif, forcé, et en assez grande partie en vue de l’exhibition même. C’est là ce qui explique pourquoi le chiffre varie si peu d’une année à l’autre, et comment la livraison se fait avec la régularité d’une commande. Ce chiffre ne prouve donc rien en faveur de la prospérité de l’art, et même il prouve contre, car la moitié de ces ouvrages demeurant certainement sans emploi, la production dépasse de beaucoup la consommation, ce qui est contre toutes les règle de l’économie politique.

Les conséquences de cet ordre de choses sur le travail des artistes