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mâle fierté que donne l’habitude du danger, le voisinage de la mer, de la mer faite pour l’homme libre, made for the free, comme a dit Thomas Moore. Dans les jours de travail, vous seriez attendri de voir ces habitans des côtes, couverts de misérables vêtemens, trempés d’eau de la tête aux pieds, haletant sous le poids de leurs filets, de leurs harpons, rentrer sous le misérable toit qu’ils appellent leur maison, et s’asseoir au milieu d’une demi-douzaine d’enfans déguenillés, dont les regards avides suivent les progrès d’une marmite de pommes de terre qui cuisent lentement sur un petit feu de tourbe. Mais revenez le dimanche et regardez ce même manœuvre quand il a revêtu le costume de ses pères, la longue jaquette bleue à boutons de métal, le gilet de laine épais qui couvre comme une cuirasse sa large poitrine, et le chapeau à larges bords d’où s’échappent des touffes de cheveux épais. Ce n’est plus le même homme ; c’est le descendant des vieux républicains bataves, c’est le propriétaire d’une barque avec laquelle il a maintes fois sillonné les flots soulevés par le vent, et qui ne courbe point la tête devant le propriétaire de l’immense domaine qui récolte sans fatigue et s’enrichit sans effort. Ce jour-là il contemple la mer avec un singulier sentiment de dédain. Va, va, pauvre mer, lui dit-il, embrasse dans ton étreinte passionnée mon cher bateau ; brise-toi, folle que tu es, au pied de la dune ; appelle-moi par tes soupirs sur tes nappes d’écume : aujourd’hui tes plaintes sont inutiles, aujourd’hui je mène ma femme à l’église, je m’asseois avec mes enfans à la table de mon aïeul, qui te connaît bien aussi, je bois paisiblement mon verre de genièvre, je fume ma pipe à mon foyer, comme un directeur de la compagnie des Indes, et j’entonne avec mes compagnons le chant hollandais :

Wien Neerlands bloed door de aders vloeit.

Ainsi se passe la journée du pêcheur, et le lendemain il secoue bravement les douces chaînes de ses joies hebdomadaires, et retourne à ses courses aventureuses. Une autre classe non moins fortement caractérisée est celle des paysans. Ceux-ci ont la même fierté, avec plus de calme, et des habitudes plus régulières. Leur devise est comme celle des paysans de la Suède : Ni maîtres, ni esclaves. Ils cultivent de père en fils depuis plusieurs générations la même ferme, et les habitudes de stabilité hollandaise leur donnent une sorte de quiétude à laquelle un contrat de propriété ne pourrait presque rien ajouter. Il y a là de vieilles coutumes protégées par un respect héréditaire, des traditions que l’on recueille, et que Van Lennep nous racontera un