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LA HOLLANDE.

À six heures du matin, je me lève avec l’empressement d’un homme va tenter dans la vie nomade une nouvelle expérience. Je crie à haute voix un mot hollandais qui est la traduction littérale de garçon. J’y mets un certain accent batave dont je me sens fort satisfait, et je vois arriver la maîtresse de l’auberge. — Que demande monsieur ? — Je voudrais que le garçon vînt prendre ma malle. — Elle s’éloigne et appelle Jan. J’avais oublié qu’en Hollande tous les garçons d’auberge et de café s’appellent Jan. C’est pourtant bien commode.

Jan s’avance à pas mesurés, prend mon bagage de voyageur, le porte dans la seconde cabine, et comme il n’y a là qu’un banc fort étroit, j’ai l’agrément de voir un respectable paysan s’asseoir sur ma malle, une femme prendre mon sac de nuit pour tabouret, et un enfant battre le tambour sur mon carton à chapeau. J’entre dans le roem ; j’y trouve trois Hollandais armés déjà d’une longue pipe, et un comis-voyageur belge. Les Hollandais fumaient comme trois fournaises ; le belge venait de prononcer six paroles qui renfermaient autant de barbarismes. J’ouvris la porte et j’allai me réfugier près du pilote. — À quelle heure, pilote, arriverons-nous au Helder ? — C’était, selon moi, une adroite manière d’entrer en conversation ; mais ce peu de mots décelaient ma sotte nature d’étranger. Est-ce que jamais un Hollandais demande à quelle heure il arrivera quelque part ? Le digne nocher me fit bien sentir l’inconvenance de ma question : il me jeta un regard qui exprimait une profonde pitié et mâcha tranquillement son rouleau de tabac. J’essayai de réparer mon imprudence en vantant la vitesse de son bateau. Cet homme comprit peut-être l’indigne fausseté que je commettais en ce moment, et, pour m’en punir, ne répondit rien. Enfin, après mainte tentative, mainte digression qu’il n’accueillait que par un froid mutisme ou quelque sec monosyllabe, je crus que j’allais en venir à vaincre sa taciturnité et à obtenir de lui les renseignemens de l’homme pratique, bien préférables souvent à ceux de l’érudit. Je venais de parler de la mer du Nord ; cette mer me conduisit à la Méditerranée ; je prononçai le nom de Marseille, et il se trouva que mon silencieux pilote, dans le cours de ses excursions, avait vu la Canebière. — Oh ! Marseille ! s’écria-t-il, de goed vijn ! Oh ! Le bon vin ! — Quel bonheur, me dis-je, que le vin de Marseille lui ait semblé doux ; voilà sa langue déliée, et à l’aide de quelques transitions, de là-bas je le ramènerai bien ici. — Mais quand je repris l’entretien, il répéta de nouveau son enthousiaste exclamation de buveur, de goed vijn ! et