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POLITIQUE EXTÉRIEURE.

dence est venu pour le duc, il commence à avoir des égaux, et ne tardera pas à avoir des maîtres. Dans le premier cas, c’est le triomphe d’un ordre quelconque appuyé sur la force matérielle ; dans le second, c’est le triomphe pur et simple de la révolution. Les paris sont ouverts de part et d’autre, et les chances sont à peu près égales de chaque côté. Nous ne tarderons pas à savoir quelle aura été la solution, car elle s’accomplit peut-être au moment où nous écrivons.

Quoi qu’il arrive, un fait est acquis aux spectateurs désintéressés comme nous, c’est qu’il a suffi de six mois pour diviser profondément les vainqueurs de septembre. Espartero et les progressistes s’étaient pris réciproquement pour instrumens, ou pour parler plus exactement, Espartero avait laissé renverser la reine par les progressistes, et les progressistes, à leur tour, avaient laissé Espartero s’emparer de l’autorité, et ne leur donner que la seconde part dans le gouvernement. Chacun des deux complices aspire maintenant à abaisser l’autre, en attendant qu’il puisse s’en débarrasser complètement. C’est la marche naturelle et logique de ces sortes d’alliances. Il ne se passe aujourd’hui en Espagne que ce qui se passe partout ailleurs en pareil cas, et ce pays si exceptionnel, si imprévu, ne fait, sous ce rapport, que rentrer dans la règle générale.

La division qui se manifeste aujourd’hui n’est pas nouvelle. Nous l’avons signalée dès le premier jour, et ce n’était pas difficile. Jusqu’à présent tout s’est passé en concessions mutuelles ; mais il faut bien finir un jour ou l’autre par s’expliquer. Déjà, depuis plusieurs mois, on a distingué en Espagne, parmi les exaltés, ceux qui étaient partisans du ministère-régence et ceux qui ne l’étaient pas. Les premiers ont reçu le sobriquet de calzados, chaussés, parce qu’ils se sont distribué toutes les places à la suite du glorieux prononciamiento, et les autres celui de descalzos, déchaussés, parce qu’il ne s’est pas trouvé de places pour eux dans la grande curée. On comprend que les descalzos, qui sont restés en dehors, en veulent beaucoup aux calzados qui se sont moqués d’eux, et cette rivalité aurait suffi, à défaut de tout autre motif, pour jeter une grande irritation entre les fractions du parti dominant. En Espagne plus encore que partout ailleurs, la guerre aux places est le premier mobile des révolutions.

Du reste, la lutte n’est encore engagée que sous les formes les plus courtoises, et l’insouciante Espagne prélude gaiement aux nouvelles convulsions qui la menacent.

Le journal progressiste par excellence, l’Eco del Comercio, s’est