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lence aux votes, ou, en cas de résistance, fermer à clé la porte des cortès, comme Cromwell ; l’osera-t-il ? on peut en douter. Il a fait venir environ cinquante mille hommes autour de Madrid, et il a donné le commandement de cette armée à un général nommé Roncali, qui ne cache pas ses sympathies pour les opinions absolutistes. Au premier abord, cette démonstration paraît décisive ; il n’en est rien. Après avoir frappé ce grand coup, le généralissime est retombé dans son inertie ; il a hésité.

Voici un exemple qui suffira pour donner une idée de ses résolutions. Une grande revue des troupes avait été annoncée ; le bruit se répandit à Madrid que l’intention d’Espartero était de se faire proclamer régent unique dans cette revue ; un journal exprima ces inquiétudes : la revue n’a pas eu lieu. Ce fait est grave ; il montre combien tous les esprits sont préoccupés de la crise qui se prépare ; Espartero seul travaille à l’écarter. Enlacé à son tour dans les ruses de ces conspirateurs adroits qui avaient su entourer la reine de difficultés inextricables, il a fait venir de Paris son ambassadeur auprès de la cour des Tuileries, M. Olozaga, pour l’aider à se dégager des dédales parlementaires. M. Olozaga est certainement un homme fin, spirituel et délié, mais il est probable qu’il ne parviendra que pour un temps à éluder la difficulté. M. Olozaga est calzado ; il est de ceux à qui les descalzos ne pardonnent pas. Le fatal génie de l’anarchie est déchaîné sur l’Espagne ; il n’y a que la force matérielle qui puisse désormais l’arrêter.

Tôt ou tard il faudra qu’Espartero périsse, ou qu’il en vienne, quoi qu’il en aie, sinon à un 18 brumaire, du moins à quelque chose d’approchant. Il n’est pas absolument nécessaire qu’il aille jusqu’au bout ; mais il faut de toute nécessité qu’on l’y croie résolu. L’intimidation seule peut le sauver. S’il n’est pas redouté, il sera plus que faible, il sera ridicule. On commence déjà à se permettre toute sorte de mauvaises plaisanteries sur son compte. Un petit journal, el Trueno, a pris pour vignette de son titre un escamoteur habillé en Maure, avec d’énormes pistolets à sa ceinture, et tenant en main deux gobelets avec ces mots : Sous l’un était le trône, sous l’autre la constitution ; vous voyez, messieurs, qu’il n’y a plus rien. Et cette épigramme est encore une des plus innocentes de celles qui se multiplient de jour en jour contre ce victorieux jadis si respecté. Les hardiesses qu’on prend de tous côtés avec lui, après les hommages universels dont on l’a entouré, rappellent involontairement la fable des Grenouilles :