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Comme si ce n’était pas assez de cette désorganisation générale, le ministère-régence s’est créé bénévolement de nouveaux embarras en compliquant la question politique par la question religieuse. Nous avons déjà parlé de l’exil du vice-régent de la nonciature apostolique ; ce que nous avions prévu à ce sujet est arrivé. Le pape a répondu à l’acte de persécution du gouvernement espagnol par une simple allocution comme celle qui vient de faire reculer le roi de Prusse dans toute sa puissance. Cette allocution est arrivée à Madrid au moment de l’ouverture des cortès, et y a produit une sensation extraordinaire. Le public espagnol, qui s’intéresse peu à la politique, s’est ému à la voix du vénérable chef de la chrétienté. Les journaux exaltés attaquent l’allocution avec une violence inouie, qui n’est qu’une preuve de plus de l’impression qu’elle a produite ; la terrible accusation de schisme et d’hérésie fait son chemin, et tous les cœurs catholiques s’ulcèrent de plus en plus.

Et c’est sur la tête de l’homme qui a mis son pays dans un pareil état que nous désirerions voir se maintenir l’autorité ! Mais il ne fera de cette autorité que l’usage qu’il en a déjà fait, en supposant même qu’on la lui laisse, et que les Van-Halen, les San-Miguel, les Lorenzo, les Linage, tous ces militaires anarchistes qu’il a eu la folie d’élever aux plus hauts emplois, ne brisent pas bientôt son épée entre ses mains. Jamais homme n’a eu plus belle et plus facile mission à remplir. Il n’avait besoin ni de talent ni d’activité pour devenir un des héros les plus illustres de l’histoire ; il n’avait qu’à faire son devoir. Quand la reine Christine est venue généreusement mettre sa fille sous sa garde, il était en possession d’un pouvoir immense. Il n’avait qu’un mot à dire pour fonder un gouvernement, et il aurait vieilli ensuite, chargé d’honneurs, dominateur superbe et inactif, comme il aime à l’être, dans une situation plus haute encore que celle de lord Wellington en Angleterre. Il n’a pas su le vouloir ; habitué à gagner au jeu, il a dissipé sans compter cette magnifique fortune que le hasard lui avait faite. Que sa destinée s’accomplisse maintenant, et qu’il recueille ce qu’il a semé.

Sans doute, il laissera un vide immense en Espagne, dès qu’il n’occupera plus le devant de la scène. Autant il eût été aisé de tout organiser à l’abri de son nom, autant il deviendra difficile d’établir un peu d’ordre dans l’état, quand ce dernier point d’appui n’existera plus. Mais qu’y faire ? Quand ce qui eût été puissant pour le bien ne sert que pour le mal, il serait insensé de ne pas savoir s’en passer.