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CAPODISTRIAS.

il les avait, d’avance et de longue main, reçues et commentées ; l’empereur Nicolas le combla des témoignages de sa faveur, puis le laissa partir pour Londres, où il parut s’occuper exclusivement des intérêts des Grecs. Partout il ranima l’ardeur et la bonne volonté des comités philhelléniques ; les promesses abondaient dans sa correspondance avec la Grèce et ses amis, et venaient aussi relever le courage de la nation. « Il était prêt à conclure un nouvel emprunt, disait-il ; l’argent n’allait plus manquer ; il devait débarquer avec des munitions de guerre, des secours plus précieux encore : trois mille hommes bien armés, bien commandés, levés, avec l’assentiment des trois puissances, en Suisse et en Allemagne, allaient recruter l’armée, sous sa conduite. » La joie régnait en Grèce, quand on apprenait qu’à Paris le président élu avait été bien accueilli des ministres, bien reçu par le roi. Tout le monde reprenait confiance ; une vie nouvelle allait commencer, et le gouvernement national, enfin reconnu par l’Europe, ne pouvait manquer de garantir à la nation une existence qu’elle avait si chèrement payée. Il est vrai que le ministère britannique, toujours hostile à la nomination de M. Capodistrias, eut peine à laisser désarmer ses méfiances, et que le comte ne put réussir qu’à demi à calmer les inquiétudes de ce gouvernement soupçonneux. Dans le séjour assez long que le président de la Grèce fit à Londres, à Paris et en Italie, on a, par sa correspondance même, le témoignage du peu d’estime qu’il se plut dès-lors à afficher pour la nation qu’il allait gouverner. Lui seul pouvait, annonçait-il, faire cesser la piraterie et discipliner un pays barbare ; il demandait qu’on le plaignit de la rude tâche qu’il allait entreprendre. Il ne cachait pas son mépris pour tous les chefs de la nation. Chez un homme politique aussi habile, cette conduite pouvait passer pour une grande faute ; chez un patriote, elle mériterait un nom plus sévère.

Enfin, après bien des retards, l’ex-ministre du czar s’embarqua, mais seul, sans l’argent, sans les troupes qu’il avait promises, et sur lesquelles on comptait. Son dessein était de débarquer à Égine, siége du gouvernement ; une tempête jeta hors de sa route le Warspite qui le portait, et, l’amenant devant Nauplie, le rendit témoin d’un fait que l’on a rapporté d’une manière fort peu exacte.

La ville de Nauplie était alors au pouvoir de trois chefs : le capitaine Théodore Grivas s’était emparé de la forteresse, appelée le Palamidi ; le capitaine Jean Stratos occupait un quartier qu’il avait fortifié, et le chef du parti rouméliote, avec une quarantaine de palikares seulement, tenait plusieurs maisons. Placés entre ces trois camps, les habitans de la ville, inquiets et affamés, restaient plongés dans la plus affreuse misère. Le gouvernement expirant, jaloux de l’influence du général Colettis, attisait la discorde qui existait entre les deux capitaines persuadant à chacun d’eux que son rival était soutenu par le général, et au peuple que, s’il mourait de faim, c’était encore à Colettis qu’il devait s’en prendre. L’avant-veille de l’arrivée fortuite du président, la populace, excitée par les deux capitaines, entoura la maison de M. Colettis en poussant des cris de mort. Le général sortit de sa maison, marcha au-de-